pexels-sides-imagery-3141240

Aléas climatiques : passer de l’inassurabilité à l’antifragilité

Un dossier parrainé par AXA
© Sides Imagery

La question de la réinvention de l'assurance face au défi du changement climatique est complexe mais essentielle. L’accroissement de la fréquence et de l’intensité des aléas rend le métier d’assureur difficilement soutenable dans la durée – du fait de la hausse régulière du coût des évènements climatiques, du retrait des réassureurs, des territoires de moins en moins assurables (en Floride mais aussi sur près de 10 % de la France métropolitaine) ainsi que des écarts toujours plus significatifs entre les pertes économiques totales et les pertes assurées. Avant que la probabilité des aléas climatiques ne devienne trop élevée ou imprévisible pour qu'un assureur puisse offrir une couverture à un coût raisonnable, comment réinventer le métier d’assureur ?

par Élisabeth Laville et Arnaud Florentin (Utopies)

Le risque climatique, rappelons-le, est le produit de deux facteurs : d’une part, les aléas qui se rapportent à la probabilité qu'un événement indésirable se produise ; d’autre part, les vulnérabilités qui font référence à la fragilité des éléments exposés à l'aléa. Or nous avons tendance à concentrer nos efforts sur la prévision des aléas climatiques (avec l’idée de s’en protéger) bien plus que sur la prévoyance (avec l’intention de réduire nos vulnérabilités). Pourtant, comme nous l’avons appris avec le Covid, il est beaucoup plus difficile de prévoir un événement (rare) et potentiellement dommageable que d’évaluer la fragilité de ce qui pourrait être affecté. En l’occurrence, nos territoires et nos entreprises n’ont jamais été aussi fragiles. Alors que nos sociétés n’ont jamais été aussi bien organisées pour optimiser les flux, les stocks, les données, elles n’ont jamais été aussi démunies pour faire face à l’imprévisible. Elles manquent d’options, de redondances, de plasticité et d’agilité, bref, elles pâtissent cruellement de la perte de diversité. C’est vrai de la biodiversité, mais aussi de la diversité économique (panachage de multiples secteurs d’activités sur une même territoire) ou de la diversité foncière, architecturale, immobilière, urbaine (équipements publics), sociale, démographique et culturelle. Nous avons historiquement ultra-spécialisé nos territoires, à coups de plaines céréalières, de communes dortoirs, de zones commerciales, de quartiers d’affaires, de sites touristiques, de zones industrielles et de parcs logistiques, … ; nous avons concentré dans l’espace ce qui relève de l’habitat, de la production de biens, d’énergie ou de l’innovation ; nous avons uniformisé les aménagements, les organisations, les modes de construction, les modes de consommation, les cultures. Résultat : nous avons perdu un grand nombre de patrimoines, de savoir-faire et de différences, dit autrement nous avons « mis tous nos œufs dans le même panier ». Pour reprendre l’image de l’essayiste Nassim Nicholas Taleb, nous sommes dans un cinéma toujours plus grand, toujours plus moderne et spacieux, mais avec rigoureusement le même nombre de sorties de secours (et donc de moins en moins de portes en proportion du nombre de spectateurs). Nous ne cessons d’éroder notre capacité à innover et faire face aux chocs. A l’instar des milieux naturels, dans lesquels la diversité biologique est le système immunitaire, ce qui irrigue et renforce l’écosystème, nous devons en urgence, selon les préceptes du biomimétisme, promouvoir la diversité dans nos sociétés.

Il s’agit d’un terrain de jeu important pour les assureurs : passer d’une situation d’inassurabilité à une promotion et un développement de l’antifragilité - pour aider les territoires, les entreprises et même les ménages à se diversifier, à faire face voire à s’améliorer, face à la volatilité, à l’imprévu et au stress. Concrètement comment les assureurs peuvent-ils intégrer cette problématique de diversification au cœur même de leur modèle économique et de leur création de valeur ?

On l’a dit, la diversité est en premier lieu biologique. Pour intégrer la biodiversité au cœur de leur modèle d’affaires, les assureurs peuvent adopter diverses approches. Cela inclut l'évaluation des risques liés à la biodiversité, la conception de produits d'assurance spécifiques à la biodiversité, des investissements ciblés ou des partenariats avec des ONG. À titre d’exemple, le Fonds AXA WF ACT Biodiversity vise à préserver la biodiversité en investissant majoritairement dans des entreprises offrant des solutions pour résoudre des problèmes tels que la pollution des sols et de l’eau, la dégradation des sols, la protection de la faune et de la flore, la désertification et la surconsommation. En Suisse, l’initiative Flora Futura engage AXA sur la revalorisation écologique d’ici à 2025 d’un mètre carré pour chaque client en soutenant des projets tels que des troupeaux de chèvres itinérantes pour lutter contre l’envahissement de végétation indésirable (les chèvres broutent la végétation indésirable, ce qui la fait disparaître et crée de la lumière et de l'espace pour d’autres espèces précieuses).

Autre sujet clé : la diversification économique. Les assureurs peuvent s’engager en investissant, en incitant (par les garanties) ou en promouvant (services associés) tout ce qui permet de faire un « saut productif » et d’explorer de nouveaux sentiers économiques qui sont aussi des solutions climatiques : assurer et investir dans la bioéconomie (biotechnologies, bioraffineries, …) ou les industries émergentes, favoriser l’émergence des nouveaux lieux productifs (incubateurs, fablabs professionnels, foodlabs et autres espaces de production mutualisés), investir dans les PME locales structurellement sous-capitalisées[1], soutenir la révolution du partage et de la mutualisation B2B (partage des ressources, des machines et des compétences entre entreprises), re-booster l’écologie industrielle et les plateformes circulaires locales, financer les projets entrepreneuriaux des réfugiés (vecteur avéré de diversification économique), fournir aux entreprises clientes des analyses de marché et des conseils stratégiques sur les tendances émergentes et les opportunités de diversification, offrir des programmes de bourses ou de formation continue pour encourager l'apprentissage dans des domaines émergents et interdisciplinaires, … bref tout ce qui permettrait de relancer la dynamique de diversification. En effet, selon l’Université d’Harvard[2], la France présente parmi les pays développés un des plus faibles élans de diversification économique. Aujourd’hui certains fonds à impact explorent ces enjeux de diversification (comme MAIF Impact, le fonds de dette infrastructure LB AM CNP, Generali Investissement à Impact avec INCO Ventures, …). Maisla diversité économiquepourrait faire davantage l’objet de choix d’investissements ou de produits clairement dédiés (de la même façon que des fonds existent pour la biodiversité par exemple).

La diversité urbaine, immobilière ou foncière représente également un champ d’action pour les assureurs : investir dans des projets immobiliers qui encouragent une utilisation mixte des espaces, financer des initiatives agricoles durables ou l'agroforesterie qui contribuent à la diversité des utilisations des terres, développer des polices d'assurance qui couvrent les risques associés à la diversification des utilisations du sol, reconnaître et récompenser les clients qui optent pour la diversité dans leurs choix immobiliers, favoriser les expérimentations urbaines, participer au financement de projets visant à tester de nouvelles idées pour l'utilisation des espaces urbains, soutenir l'aménagement d’espaces qui encouragent la communauté et l'interaction sociale, etc. Aux Etats-Unis, la société d’assurance Prudential s’est associée à L+M Development pour rénover et diversifier Hahne & Co., un ancien centre commercial de Newark laissé à l’abandon depuis 30 ans. Le projet de 174 millions de dollars est aujourd’hui un bâtiment à usage mixte composé d’appartements, d’un magasin Whole Foods Market, d’une librairie, d’un espace éducatif pour l’Université Rutgers à Newark, ainsi que d’un restaurant.

Sur le volet diversité culturelle et sociale, les assureurs peuvent accroître l’engagement communautaire (s’impliquer dans des initiatives locales qui favorisent l’inclusion sociale), proposer des polices d’assurance pour des projets communautaires ou des événements locaux qui favorisent la diversité culturelle, investir dans des fonds ou des programmes de microcrédit destinés spécifiquement aux micro-entrepreneurs locaux, soutenir financièrement les initiatives locales qui visent à conserver ou à revitaliser les traditions culturelles ou l’artisanat local, proposer des tarifs préférentiels ou des incitations pour les coopératives et les initiatives communautaires qui renforcent la diversité et la cohésion sociale, etc. Sur ce sujet, trois exemples d’assureurs nord-américains sont intéressants : Vonzella vend des produits d'assurance à des consommateurs historiquement exclus, et réinvestit une portion de chaque commission dans les organisations communautaires locales, créant ainsi un d'investissement et d'autonomisation communautaire ; Indigenous Pact PBC propose des conseils en santé pour améliorer les revenus des services de santé tribaux et l'accès aux soins pour les citoyens tribaux, en visant l'équité en santé pour les Amérindiens et les Autochtones d'Alaska ; et The Redwoods Group s’est lui entièrement spécialisé dans le développement d’offres d’assurances dédiées aux institutions qui se concentrent sur des programmes communautaires, le renforcement de l'éducation et le développement personnel des individus (YMCA, les Boys & Girls Clubs, et les camps à but non lucratif).

Enfin, la diversité, c’est aussi la diversité des modes de consommation, de vie ou de la mobilité qui fait cruellement défaut dans nos trajectoires de transition et d’adaptation. Des marchés, parfois de niche, sur lesquels se positionnent certains assureurs comme le britannique Bikmo, le spécialiste de l’assurance 100 % vélo qui protège les cyclistes dans leurs trajets personnels ou professionnels en abaissant certaines barrières à l’usage du vélo – via des offres protégeant à la fois l’utilisateur (responsabilité civile, accident, etc.), son équipement et son vélo, contre les accidents mais aussi les vols, assurance des particuliers mais aussi des flottes professionnelles, des magasins de vélos, etc.

La promotion de l’anti-fragilité consiste pour les assureurs à faire émerger certains secteurs qui ont besoin d’un coup de pouce et certaines pratiques qui sinon restent « non assurables » faute de recul ou de retours d’expérience. Ce qui impose deux grands changements pour la profession : d’une part, réactiver les valeurs de solidarité qui ont fondé historiquement le métier ; et d’autre part, placer les efforts d’innovation dans les offres et les garanties mais aussi sur les investissements pour faire éclore une plus grande diversité biologique, économique, sociale ou foncière. Parce qu’il s’agit de la meilleure voie possible pour rendre nos sociétés moins vulnérables aux aléas, et parce qu’elle doit être davantage protégée, investie et promue, la diversité sera très probablement le grand chantier des décennies à venir pour les assureurs. 


Cette tribune s'inscrit dans le prolongement des réflexions menées par Arnaud Florentin, directeur associé d'Utopies, dans son livre Et si l'antidote à l'urgence climatique était la diversité économique ? , publié en septembre 2023, avec une préface signée François Gemenne.


[1] Selon les statistiques de l’INSEE, les PME sont clairement sous-capitalisées dans une grande majorité des secteurs, insuffisamment pour atteindre une taille minimale nécessaire (barrière à l’entrée sur certains marchés, seuil de rentabilité) et gagner en productivité. L’écart médian sur l'intensité capitalistique (immobilisations corporelles brutes / effectif salarié) est de -44% entre les PME et les ETI/Grandes Entreprises.

[2] https://atlas.cid.harvard.edu/