Alors que l'urbanisation détruit chaque année des dizaines de milliers d'hectares d'espaces naturels à travers le monde, la protection des sols et des écosystèmes est devenue un enjeu critique pour répondre à la crise climatique. Ce nécessaire New Deal pourrait obliger les métropoles à freiner leur expansion, mais aussi accélérer la transformation d'un modèle définitivement à bout de souffle.
La ville est le concept le plus polluant jamais créé par l'être humain. Alors que les métropoles n'occupent que 2 % des terres, elles émettent 70 % du CO₂ rejeté dans l'atmosphère et consomment les deux tiers des ressources énergétiques à l'échelle planétaire. Année après année, leur impact négatif sur l'environnement ne faiblit pas.
Urbain, trop urbain
Il faut dire qu'en tant que phénomène mondial, l'urbanisation a largement contribué au dérèglement du climat, à l'augmentation massive de la pollution et au déclin croissant de la biodiversité sur chaque continent. Et ce par le biais de la métropolisation, processus qui a rassemblé des populations toujours plus importantes dans les grandes villes, nécessitant toujours plus de logements et d'infrastructures.
Ainsi, chaque année, de vastes superficies de terres agricoles, de forêts nourricières et de prairies verdoyantes disparaissent sous des tonnes de béton, réduites à néant par l'extension sans fin des villes. Autant de puits de carbone qui ne stockeront plus de CO₂, autant d'espèces animales dont l'existence sera menacée par la perte de leurs habitats naturels, autant de cultures qui ne produiront plus de nourriture.
En guise de réponse, la Commission Européenne a proposé, en juillet 2023, la première directive visant à protéger les sols et à garantir leur utilisation durable. L’occasion de rappeler que ces derniers constituent le fondement de notre santé et qu'ils sont une ressource naturelle limitée et non renouvelable.
Avec une longueur d'avance, le gouvernement français avait adopté fin 2021 la Loi climat et résilience, qui crée l’acronyme ZAN, pour zéro artificialisation net. L’objectif ? Diviser par deux le rythme de l'artificialisation dès 2030, avant d'y mettre un terme en 2050, soit en la stoppant, soit en la compensant.

En Europe, ces décisions marquent un coup d'arrêt pour l'urbanisation. Elles représentent un tournant historique car, depuis leur apparition au néolithique, les villes n'ont cessé de grandir. Il s'agit désormais de faire machine arrière, condition sine qua non pour répondre aux enjeux vitaux posés par la crise climatique. Dès à présent, les grandes agglomérations doivent donc anticiper la fin de leur étalement, tout en poursuivant les transformations en cours en matière de décarbonation et d'adaptation à l'augmentation des températures. Alors, quelles solutions pour relever ces défis ?
Réaménager l'existant
En France, les municipalités commencent à miser sur la densification, la réhabilitation et la verticalité pour créer de nouvelles habitations et de nouveaux services. Cette inflexion apparaît déjà dans les Plans Locaux d'Urbanisme (PLU) avec un nombre croissant d'initiatives qui visent à repenser l'utilisation des bâtiments présents à l'intérieur des villes pour ne plus artificialiser à l'extérieur.
Ainsi, la métropole de Lyon a autorisé la surélévation de 35 immeubles, ce qui a permis de doubler leur surface habitable. À Paris, où l'augmentation en hauteur des constructions est possible depuis 2006, le nouveau PLU bioclimatique prévoit un nombre plus important de surélévations pour les rues dont la largeur est supérieure à 12 mètres. À Marseille, il est déjà possible de rajouter des étages aux immeubles.
Ce type de travaux, qui avaient été encouragés par la Loi Alur dès 2014, pourrait permettre de couvrir 85% des besoins en logements pour les dix prochaines années. Un chiffre considérable.
Autre évolution notable : nos toits qui pourraient bientôt devenir le nouvel eldorado de l'aménagement urbain. Ces vastes surfaces, pourvues de millions de mètres carrés inutilisés ou sous-utilisés, offrent des perspectives inédites pour la renaturation et la création de nouvelles habitations.
Aux Pays-Bas, l’association Dakdorpen travaille main dans la main avec la municipalité de Rotterdam et multiplie les projets de végétalisation des toits, ou les implantations de tiny houses pour proposer des habitations à moindre coût.
Toujours à Rotterdam, les architectes de l’agence MVRDV ont publié le Rooftop Catalogue, le premier guide qui explique comment les toits peuvent freiner l'extension de la ville vers les zones rurales.
Pour favoriser ce mouvement en France, l'Apur (Atelier parisien d'urbanisme) a édité fin 2022 la première base de données des toits de la capitale qui recense 128 000 toitures couvrant une superficie de 32,2 millions de mètres carrés. L'Apur note que le potentiel d'aménagement est colossal avec "24 000 toitures comportant une surface plate d’au moins 50 mètres carrés dont 2 100 avec au moins 200 mètres carrés de surface plate non encombrée et contigüe".
Dans cette quête d'espaces intra-muros, la réhabilitation des friches urbaines permet également de construire sans artificialiser. Les projets allant dans ce sens sont de plus en plus nombreux. À Saint-Ouen, le territoire des Docks, une ancienne zone industrielle qui couvre un quart de la ville, est devenu un éco-quartier végétalisé. À La Garenne-Colombes, le nouveau siège d'Engie, qui est en train d'être bâti sur l'ancien site des usines de Stellantis, a été pensé pour être un complexe verdoyant et vertueux qui fait la part belle à la nature.
Résister au choc climatique
Autre axe majeur de transformation, l'augmentation des températures, qui devient de plus en plus problématique en ville, nécessite là encore de réaménager l'existant. Dans chaque quartier, il faut d’urgence accélérer la végétalisation urbaine, multiplier les points d'accès à l'eau et aux zones de fraîcheur, renaturer les sols, mais aussi préparer les habitants à des canicules qui vont devenir plus fréquentes et plus extrêmes.
Pour ce faire, la mairie de Paris a mis au point un Plan Grand Chaud sur le même modèle que le Plan Grand Froid afin d'anticiper des épisodes de très fortes chaleurs qui pourraient atteindre 50°c dans les prochaines années. Dans le détail, les équipes municipales prévoient la création d'une cartographie des lieux de fraîcheur qui indiquera l'emplacement des fontaines et des espaces ombragés, la mise à disposition de stations de métro qui serviront de refuges climatisés, la constitution de "grands espaces verts en amont des vents dominants et sur les hauteurs" et de "fermes urbaines en pied d’immeuble ou sur les toits".

Pour aller encore plus loin, la mairie a prévu d'organiser l’exercice de crise "Paris à 50 °c" en octobre 2023 dans le 13ème et le 19ème arrondissement, afin de tester la capacité de la ville à "faire face à un dôme de chaleur à l’échelle du territoire et à déployer des dispositifs à la hauteur de la situation". Une première mondiale qui mobilisera les élus, la préfecture de police, les associations de protection civile, les opérateurs de réseaux, la Brigade de sapeurs-pompiers et les habitants eux-mêmes.
Faire face aux canicules est essentiel. Mais encore faut-il créer un environnement protecteur pour que les citadins souffrent moins des très fortes chaleurs. C'est pour cela que l'Ademe, l'Agence de la transition écologique, a lancé la plateforme "Plus fraîche ma ville" qui vise à faciliter la renaturation des agglomérations. Le but ? Accompagner les collectivités territoriales dans la mise en place de leurs projets de végétalisation grâce à des conseils d'aménagement qui tiennent compte des caractéristiques propres à chaque ville. Sur cette base, la plateforme propose des solutions qui sont adaptées à chaque type d'espace, bâtiment, parking, rue, place, rond-point, et qui permettent de rendre plus efficace le rafraîchissement urbain.
Vers la métropole recyclable
Pour ne plus étendre la ville, le réemploi et la réhabilitation sont la clé du changement.
Parfaite incarnation de cette nouvelle doctrine, le village Olympique, actuellement en construction près de Paris pour accueillir les 2500 sportifs qui participeront aux Jeux en 2024, a été pensé pour être réversible. À partir de 2025, cette infrastructure éphémère sera transformée en immeubles d'habitations, en bureaux, en écoles et en commerces grâce au réemploi de tous les matériaux qui auront servi à la construire.
L’ensemble de ces initiatives démontrent une chose. La ville de demain naîtra davantage de ce qui est déjà là que de ce qui sera construit dans les prochaines années. Si l'architecture bioclimatique a fait d'énormes progrès, avec des bâtiments neufs toujours plus innovants pour atteindre la neutralité carbone, c'est notre capacité à adapter et à recycler l'existant qui fera la différence.