Armen-Aydinyan

Mode : Le temps des coalitions durables

Un dossier parrainé par Le Livre des Tendances
© Armen Aydinyan

Cet article est extrait du Livre des Tendances 2021,
22 secteurs clés décryptés (352 pages).


Que viennent chercher les marques chez Paris Good Fashion ?

Isabelle Lefort : Il est très important pour elles de pouvoir mesurer qualitativement et quantitativement les progrès qu'elles réalisent. Une marque de mode ou de haute couture, un distributeur, un organisateur d'évènements, n'ont pas les mêmes chaînes de valeur, les mêmes produits. Ce ne sont pas non plus les mêmes rythmes de transformation. Il fallait que nous inventions un outil qui permette de réunir tout le monde.

En collaboration avec l'agence Sidièse, nous avons développé un autodiagnostic, disponible en open source sur notre site, autour de 80 questions. Il synthétise des questionnaires de référence déjà existants. Il permet aux marques de savoir où elles en sont et les efforts qui restent à fournir.

Quels sont les principaux acteurs qui vous ont déjà rejoint ?

I.L. : Nous avons Chanel, LVMH, Kering, Le Slip Français, Vestiaire Collective, les Galeries Lafayette, Petit Bateau… Ce ne sont pas uniquement des marques ou des distributeurs. Il y a également Première Vision et Who's Next, qui créent des salons, Studio Roshan, qui est un grand studio de photographies… C'est un ensemble d'acteurs qui œuvrent pour la mode. Il y a les différentes fédérations et institutions qui y participent aussi.

Journées Particulières LVMH ©Julien Chatelain

Comment mettre tout le monde autour de la table pour pousser en avant un mouvement ? Avec le Covid, nous entrons dans une phase d'accélération absolue de la transformation du textile.

C'est donc l'ensemble de la chaîne du textile ?

I.L. : En effet, et tous segments confondus. Nous regroupons le luxe, le prêt-à-porter, la grande distribution… Notre vocation est d'impulser et d'accélérer un changement systémique. Il n'était donc pas question d'avoir une sélection centrée uniquement sur les jeunes créateurs ou les marques ayant déjà un modèle durable. Comment mettre tout le monde autour de la table pour pousser en avant un mouvement ? Avec le Covid, nous entrons dans une phase d'accélération absolue de la transformation du textile.

Pour y parvenir, l'idée est de partager les bonnes pratiques ?

I.L. : C'est en effet l'objectif des uns et des autres. Ils veulent trouver ensemble des solutions concrètes. Par exemple, nous nous sommes intéressés au recyclage des décors utilisés lors des grands évènements de la mode. Il n'y a pas d'interlocuteur privilégié à la mairie de Paris pour traiter ce type de problématique.

En travaillant tous ensemble dans le cadre d'un groupe de réflexion, nous avons mis au point un process qui favorise le recyclage. Il s'avère que LVMH possède depuis dix ans une structure spécialisée dans le réemploi de matières, qui va désormais pouvoir bénéficier à toutes les marques. Personne ne le savait, ce qui montre bien que le partage des informations et des initiatives est essentiel. Réfléchir ensemble et mutualiser nos données est la clé du changement.

Seulement 4 % de la laine produite sur le territoire national demeurent en France. Le reste part en Chine pour être transformé. Nous avons pratiquement perdu cette filière.

©Markus Spiske

La crise a mis en évidence la très grande fragilité des chaînes de valeur dans la mondialisation. Rendre le textile plus responsable inclut-il la relocalisation de la production ?

I.L. : Le secteur n'a pas échappé à cette problématique, d'autant qu'il a beaucoup délocalisé ces trente dernières années. Le prêt-à-porter et la fast fashion viennent du monde entier. Notre système d'approvisionnement est fragile, car il dépend en grande partie de l'étranger. Pendant la crise, Bercy a sollicité le comité stratégique de la filière pour réfléchir à une relocalisation, au moins partielle.

Sur la laine, seulement 4 % de ce qui est produit sur le territoire national restent en France. Le reste part en Chine pour être transformé. Nous avons pratiquement perdu cette filière. Nous sommes en train de travailler à la création d'un collectif tricolore qui rassemble un grand nombre d'opérateurs pour passer de 4 % à 24 %. Étant donné que nous avons un cheptel très fort, avec une trentaine d'espèces de moutons et une grosse capacité de production, nous savons que nous pouvons réimplanter la production. Le gros problème, c'est de rester compétitif.

Sur le lin, nous sommes le plus gros producteur européen et numéro 1 ou 2 mondial. Là aussi, seulement 20 % restent en France et le reste part en Chine. Pour réussir à relocaliser, il faut des prix attractifs, et il faut que nous soyons en mesure de recréer du tissu social et de l'emploi. Or, lorsque les entreprises françaises fabriquent des masques avec un coût unitaire de 7 euros, les Chinois font la même chose pour 60 centimes.

©Maite-Onate

À quoi va ressembler la suite ?

I.L. : Nous allons publier un baromètre qui mesurera la transformation et sera une synthèse des résultats des uns et des autres. Cela permettra de voir l'évolution vers une plus grande durabilité année après année. Nous avons également établi une cartographie du Paris de la mode durable.

Aujourd'hui, nous avons presque 800 lieux, plus de 150 marques créatives, une trentaine de concept-stores… Nous allons inviter les autres capitales à partager notre méthodologie. Nous avons également lancé une consultation citoyenne pour impliquer les consommateurs dans la transformation, car ils sont un élément essentiel du changement. Nous répondons à des questions essentielles avec des actions concrètes.

Parcours d'Isabelle Lefort :
Diplômée de la Celsa et de l'Université Paris 1, elle a occupé les fonctions de rédactrice en chef de plusieurs magazines traitant du développement durable et de l'économie sociale et solidaire, avant de devenir directrice éditoriale de la fondation Positive Planet en 2012. Autrice, conférencière et professeure à Sciences Po Le Havre, elle a cofondé Paris Good Fashion avec Laure du Pavillon fin 2018.