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« Aujourd’hui, protéger l’environnement et faire du business, ça va de pair »

Un dossier parrainé par BNP Paribas
© Greg Nunes

Laurence Pessez est directrice RSE de BNP Paribas, dont elle a créé la fonction en 2010. Pour Et Demain Notre ADN, elle revient sur les jalons franchis, les effets de la crise sur la transition et sa conviction quant à la nécessité d’une relance qui (ré)concilie économique, politique et environnemental.

Quels sont les fondamentaux de la démarche RSE de BNP Paribas ? Comment irrigue-t-elle votre groupe ?

Laurence Pessez : Nous avons défini notre démarche en 2010-2011. Elle est structurée autour de quatre champs de responsabilités : économique, sociale, civique et environnementale. En matière économique, l'objectif est de financer le développement économique mondial de façon éthique, en ayant un impact positif sur la société.

La responsabilité sociale couvre toute la politique de ressources humaines du groupe : diversité, gestion du capital humain, attraction et rétention des talents. Le volet civique est très axé autour de l'inclusion : économique, sociale, financière. Nous avons aussi un focus sur la promotion des Droits de l'Homme, transversal à travers nos activités de financement.

Enfin, le volet environnemental : depuis 2011, nous avons fait de la lutte contre le changement climatique et du financement de la transition énergétique notre priorité, élargie à la biodiversité et la transition en général, vers une économie plus résiliente. C'est aussi la gestion de nos impacts directs – même limités, ils demeurent un sujet de cohérence et d'exemplarité. Dernier pan : le financement de la recherche fondamentale en matière de climat et de biodiversité.

Au siège, je dirige une équipe d'une trentaine d’experts avec des missions spécifiques comme le dialogue avec des parties prenantes, l'environnement & la transition écologique, la gestion des risques ESG, etc. Dans tous les principaux pays, dans toutes les activités du groupe, nous comptons environ 150 professionnels de la RSE. Vient enfin le réseau de tous ceux qui contribuent à la mise en œuvre de la stratégie, comme par exemple l’Investissement Socialement Responsable ou le financement de projets d'énergies renouvelables. Et cette même stratégie est déclinée partout dans les 71 pays où opère le groupe.

©Appolinary Kalashinikova

Quelles grandes étapes avez-vous déjà franchies ?

L.P. : En 2012, nous avons élaboré un tableau de bord de pilotage de la RSE. Nous le renouvelons tous les trois ans avec de nouveaux indicateurs et des objectifs renforcés. Et dès le début, l'atteinte de ces objectifs a été prise en compte dans l'attribution de la rémunération variable des principaux managers. C’est un jalon très important, parce que ça a été un premier ancrage dans la stratégie : quand ça touche à la rémunération, les gens ont forcément une attention renforcée.

Et comment cette décision a-t-elle été accueillie, justement ?

L.P. : Avec étonnement, pour certaines personnes qui ont découvert la RSE sous ce prisme. J’ai créé la fonction en 2010. Donc en 2012, on n'avait pas encore une énorme visibilité. Cela a permis une prise de conscience globale.

Ensuite, quelles ont été vos autres réalisations ?

L.P. : 2015 a été très importante pour nous : à la veille de la COP21, nous avons rendu publique notre stratégie de transition énergétique globale, avec des objectifs en matière de financement des énergies renouvelables, mais aussi de diminution du soutien aux énergies fossiles, complétée d’autres éléments comme l’investissement sur les fonds propres de la banque dans des startups innovantes en ce domaine.

2017, autre étape : le groupe est neutre en carbone sur son périmètre propre. Cela passe par trois étapes : réduire les émissions de gaz à effet de serre, recourir le plus possible à l'électricité bas carbone pour éclairer les bâtiments du groupe, et compenser les émissions résiduelles. Le tout accompagné d'une politique voyage assez restrictive avec le recours aux moyens alternatifs.

2019 marque notre engagement en faveur de la protection de l'océan. C'est la première fois qu'on communique fortement sur un sujet de biodiversité. Et en 2020, nous annonçons un calendrier de sortie totale du financement du charbon, avec une date butoir : 2030 pour les pays de l'OCDE et l’Union européenne, 2040 pour le reste du monde – dates qui sont le reflet des recommandations du GIEC et en ligne avec le scénario SDS de l’AIE.

Comment la crise affecte-t-elle votre feuille de route ?

L.P. : La crise renforce l’utilité de notre roadmap RSE. Un exemple : sur la diminution de notre support aux énergies fossiles, nous avons réduit non seulement notre soutien au charbon, mais aussi au pétrole et gaz non conventionnels, gaz de schiste et bitumineux. Fin 2017, nous sommes sortis des spécialistes de ce secteur, essentiellement des midcaps américaines aux business models très liés à ces deux sources d'énergie et de toutes leurs infrastructures associées. Or aujourd'hui, avec la baisse du prix du baril, ces entreprises sont en grande difficulté parce qu’elles ne peuvent pas se diversifier. C'est un élément de réassurance quant à notre décision, prise il y a trois ans pour des raisons environnementales. Mais aujourd’hui, l'économique, le financier et l'environnemental se rejoignent finalement.

©Linus Nylund

Sur le sujet de la biodiversité, le Covid a mis en évidence la relation entre perte de biodiversité, notamment la déforestation, et le développement des risques sanitaires et pandémiques. C’est une incitation supplémentaire à sortir une position biodiversité globale en 2020. Le volet biodiversité marine est déjà fait, et nous renforçons nos engagements sur le volet terrestre, notamment en matière de lutte contre la déforestation.

En matière d'inclusion, nous financions depuis plus de 30 ans déjà les institutions de microfinance, afin de rendre nos produits accessibles aux gens qui ne peuvent pas rentrer dans le système bancaire traditionnel. Et nous sommes très dynamiques sur le segment de marché des entreprises sociales.

Le Covid a mis en évidence la relation entre perte de biodiversité, notamment la déforestation, et le développement des risques sanitaires et pandémiques.

Quand on sait que le pétrole, le gaz ou le charbon représentent encore 80% des sources d'énergie primaire dans le monde, on se dit pourtant que « décarboner » l'économie ne sera pas une mince affaire…

L.P. : Ça ne se fera pas en un jour et c'est pour cela qu'on parle de transition et d'accompagnement. Chez les producteurs d'électricité que nous finançons, on constate qu'ils sont tous – sauf exceptions, souvent liées à des motifs géopolitiques – en train de se diversifier, d'investir massivement dans le renouvelable, de diminuer leur dépendance au charbon et de se reconvertir dans le gaz. Certes, le gaz n’est pas la panacée mais c’est quand même deux fois moins émetteur que le charbon, donc c’est une bonne énergie de transition. Et ce mouvement s’accélère depuis deux-trois ans.

Concernant le pétrole, il n'y a pas d'alternative, pas pour le transport à grande échelle en tout cas – même si nous nous intéressons de très près à l'hydrogène, par exemple. Beaucoup d'acteurs prennent des engagements – les majors comme Shell, BP ou Total – de neutralité carbone à l'horizon 2050, en ligne avec la feuille de route européenne. Donc, il faudra être sélectif dans le financement du gaz et du pétrole et accompagner ceux qui se diversifient, qui prennent des engagements, qui traitent très sérieusement le sujet. Et a contrario, ne pas financer les projets qui sont déraisonnables et les acteurs qui ne transitionnent pas.

Quel est le niveau de collaboration entre les acteurs, bancaires notamment, sur la question de la mesure par exemple ? Parce que cette nouvelle façon de voir le monde va réclamer de nouvelles grilles de lecture, de nouveaux indicateurs…

L.P. : Sur les métriques de transition, d'alignement des portefeuilles, tout est à créer. De nombreuses coalitions de banques se mettent en place. Nous avons joué un rôle clé dans l'élaboration des Principes pour une banque responsable, aujourd’hui signés par 130 grandes banques, avec un objectif commun : l'alignement de leurs portefeuilles sur le scénario de l’accord de Paris et la contribution aux Objectifs de Développement Durable. Et quand on parle des mêmes objectifs, ça aide à adopter les mêmes méthodes de mesure.

Nous travaillons de façon collaborative, avec un certain nombre de groupes de banques, à l’échelle internationale. Dans le cadre des Science Based Targets ou du Katowice Commitment par exemple, on travaille sur des méthodologies communes en open source. Ça ne sert à rien de développer des méthodologies propriétaires ; ce qu’on veut, c'est offrir de la transparence à nos parties prenantes externes, je pense notamment aux investisseurs, pour qu’elles puissent avoir des éléments de preuve et comparer les banques. C’est un gage de crédibilité.

Sur l’inclusion, des coalitions très intéressantes existent, comme Business for Inclusive Growth, qui réunit entreprises de tous secteurs d'activité, avec une priorité donnée à l'égalité des chances dans le recrutement et dans leurs produits.

Aujourd'hui seul, on ne peut rien faire. On peut se faire plaisir en étant la banque la plus vertueuse, la mieux notée, celle qui a le plus d’awards. Mais en termes d'impact concret sur le climat, sur la société, sur la façon dont l'économie se transforme, seul, on n’a aucun impact. Parce que, quand on demande à un client de faire quelque chose ou qu’on lui dit ne plus pouvoir être son banquier parce qu’il n’est pas en ligne avec nos attentes, une autre banque prend notre place et rien ne change. Donc on arrivera à quelque chose uniquement si on va tous dans le même sens.

On peut se faire plaisir en étant la banque la plus vertueuse, la mieux notée, celle qui a le plus d’awards. Mais en termes d'impact concret sur le climat, sur la société, sur la façon dont l'économie se transforme, seul, on n’a aucun impact.

©Ryoji Iwata

Comment écarter la tentation de négliger la transition écologique, afin de lutter contre la récession économique ? On entend déjà certaines voix ou zones géographiques s’exprimer en faveur d’un assouplissement des normes environnementales, au prétexte d’une relance rapide. Comment les banques peuvent-elles contribuer à éviter cette dérive court-termiste et délétère ?

L.P. : Aujourd'hui, protéger l'environnement et faire du business, ça va de pair – ce qui n'était pas forcément le cas il y a quelques années.

Tous les produits qui accompagnent la transition se développent de façon incroyable, les Green Bonds, les Green Loans, les Sustainability-Linked Loans (ces crédits dont le taux d'intérêt est basé sur l’atteinte d’objectifs extra-financiers comme par exemple l'atteinte d’une réduction d'émissions de CO₂)… Pendant la crise du Covid, où tous les indices se cassaient la figure, ce qui performait le mieux dans les produits d'investissement, c’était les fonds d’Investissement Socialement Responsables, les fonds thématiques environnementaux. C'est une preuve tangible, ça convainc même les sceptiques.

Après, je pense à la Convention citoyenne pour le climat qui a rendu ses conclusions, et en particulier au sujet de la rénovation énergétique des bâtiments qui est clé : l'efficacité énergétique, c’est la moitié du chemin pour rester sous les deux degrés. On est bien là dans quelque chose qui concilie l’économique, parce qu'il y a de la création d'emplois en masse à la clé, et l’impact positif sur l'environnement.

Il y a aussi tout le potentiel de l'économie circulaire et de l’innovation, les startups qui travaillent en bonne intelligence avec des grands groupes pour les aider à transformer leur business model. L’hydrogène aussi, où le potentiel est énorme : en Allemagne par exemple, qui a un gros problème de transition énergétique, un plan de neuf milliards d'euros vient d’être annoncé pour le développement de cette source d'énergie.

Alors oui, il peut y avoir des tentatives de différer de la part de certains acteurs, mais il y a également une vision commune partagée par de très nombreux dirigeants d'entreprise, une volonté du gouvernement d'aller dans ce sens-là, le Green Deal européen aussi. Le momentum est là et il n’est pas du tout en train de ralentir.

Il y aura bien des freins dans la trajectoire, quels sont-ils ?

L.P. : La façon dont les choses vont être financées, comme toujours. On a bien vu que la taxe carbone générait des Gilets jaunes, parce que la dimension économique n'avait pas suffisamment été prise en compte. C’est très important. On doit être dans ce qu'on appelle une transition juste, c'est-à-dire une transition ouverte et inclusive. Si elle n'est pas inclusive, elle sera segmentante et créera des oppositions. Reprenons l'exemple de l'Allemagne, qui doit sortir du charbon – ce qui est très compliqué car leur économie est basée dessus, avec énormément d'emplois à la clé et une grosse pression sur le gouvernement dans la perspective des prochaines élections. Donc il faut pouvoir concilier politique, économique et environnemental. Tout est interconnecté.

La transition doit être juste, c'est-à-dire ouverte et inclusive. Si elle n'est pas inclusive, elle sera segmentante et créera des oppositions.

Parlons du S de RSE – S comme sociétale : à la lumière des évènements, comme s’incarne-t-il dans votre démarche ? Comment les banques peuvent-elles œuvrer à une économie plus équitable et inclusive ?

L.P. : Pendant la crise, les Social Bonds se sont développés de façon exponentielle. Jusqu'à présent, 80 à 90% des obligations durables étaient des obligations vertes. Et soudain, on a eu énormément de Covid Response Bonds, des levées de fonds directement fléchées sur le soutien du secteur hospitalier, sur la recherche dans l'industrie pharmaceutique, sur l'éducation en ligne… En trois mois, on a dû en structurer une dizaine ! Et les Social Bonds, fléchés sur toute la dimension sociétale, décollent eux aussi. C’est très positif parce qu'auparavant, il fallait vraiment aller les chercher.

Ensuite, nous sommes très attentifs dans notre offre de produits à répondre à tout type de besoins, par exemple sur les clientèles les plus fragiles. Par exemple, notre filiale Nickel, distribuée dans les bureaux de tabac en France, compte 1,5 million de clients, dont 78% ont un niveau de revenu inférieur à 1500 euros. C’est une offre qui prend toute son importance dans la situation actuelle.

Nous accompagnons aussi les institutions de microfinance dans la crise. Elles sont confrontées à la difficulté des micro-emprunteurs à rembourser. Il faut les aider à passer le cap. L’inclusion, c’est quelque chose qui est en filigrane dans tout ce qu'on fait. C’est fondamental et on y prête une grande attention.

Finalement, la RSE n'a jamais été aussi importante et aussi visible qu'à la faveur de la crise. Celle-ci a mis en avant des problématiques qui sont la raison d'être de la RSE et son core business depuis très longtemps.

Laurence Pessez BNP Paribas
Laurence Pessez Directrice RSE BNP Paribas