Jeunes femmes dans le métro

Mobilités : une affaire de climat, une affaire de démocratie

Un dossier parrainé par Transdev
© Priscilla du Preez

Le constat ne souffre plus la discussion : il est urgent de sortir du tout voiture – pour la santé de la planète, et celle de ses habitant.e.s. Cette discussion, nous devons désormais l'avoir sur les façons de redéfinir nos libertés de bouger, pour les rendre plus durables et équitables.

C’est Laure Calamy qui, dans À Plein Temps d’Eric Gravel, incarne cette héroïne discrète qui jongle entre son travail et ses enfants en bas âge, avant que cet emploi du temps à l’équilibre précaire n’explose sous la pression d’une grève des transports. C’est Nicolas Mathieu, formidable conteur de la France périphérique, qui dans le Goncourt 2018 Leurs enfants après eux écrit que « chaque désir induisait une distance, chaque plaisir nécessitait du carburant. À force, on en venait à penser comme une carte routière. Les souvenirs étaient forcément géographiques. » On le voit, les mobilités irriguent nos quotidiens, nos histoires intimes, d’une sève vitale. C’est sans doute ce qui rend le sujet de leur transformation si sensible – pour ne pas dire explosif, quand il cristallise la colère sociale.

Et pourtant, difficile de regarder les trains passer sans agir : si la France veut atteindre l’objectif zéro émissions nettes à horizon 2050, comme nous le demande l’Accord de Paris, et plus explicitement la planète, il sera bien difficile de le faire sans s’attaquer à ce pan essentiel de l’activité humaine. Et il faudra le faire, sans mauvais jeu de mots, avec énergie. Les transports constituent ainsi 30%* des émissions de gaz à effet de serre en France, devant l’industrie et le résidentiel tertiaire. Et là où ces deux derniers secteurs ont vu leurs émissions baisser depuis 1990, l’impact des transports a continué de croître, en hausse de 9 % sur la période.

Les mobilités du quotidien, responsables de 70 % des émissions GES du transport

Aux enjeux écologiques, dont le GIEC ne cesse de sonner le tocsin avec des rapports alarmants, viennent désormais s’ajouter les enjeux de pouvoir d’achat et de souveraineté : à mesure que les pays émergent de la pandémie, les prix de l’énergie s’envolent, tandis que les tensions géopolitiques ont de lourds effets sur le cours des matières premières. En 2019, les transports représentaient 32 % de notre consommation énergétique finale, soit 45,2 millions de tonnes équivalent pétrole (Mtep) selon le Bilan énergétique de la France du Ministère de la Transition écologique. Un chiffre majoritairement issu de notre dépendance à la route, puisque ce mode en constitue un écrasant 93 %, soit 42 Mtep.

Mais les mobilités sont aussi une affaire d’égalité, de cohésion sociale et territoriale, de santé publique, de qualité de vie. Le changement de paradigme vers des mobilités décarbonées, durables, partagées, actives est désormais une nécessité indiscutable et absolue. Quels sont les leviers pour y parvenir ? Comment transformer nos modes de vie en ce sens ? Comment donner les moyens à la population de réduire sa dépendance à l’automobile, voire de mettre fin à l’autosolisme, quand 9 déplacements sur 10 se font par la route et que celle-ci représente 94% des émissions du transport ?

© Denis Rodionenko

Un système sociotechnique

Comme le rappelle le Cerema, tout système de mobilité peut s’envisager sous l’angle « sociotechnique » : une histoire de rencontre entre une demande de mobilité de nature sociale, et une offre de transports rendue possible par la technique et la technologie. Et ces deux-là s’alimentent et « se façonnent mutuellement », selon les termes de cet établissement public qui apporte son support aux territoires dans leur transition écologique. Du côté de l’offre de transports, les leviers sont bien identifiés.

D’abord l’électrification, qui permet de réduire les émissions des véhicules (à condition que l'électricité soit elle-même produite de façon décarbonée), mais aussi d’accompagner l’essor des mobilités douces, en boostant nos vélos et trottinettes. Une transition qui se fait désormais au pas de charge : en 2021, près d’une voiture sur cinq vendue en France était 100 % électrique ou hybride rechargeable, selon les chiffres de la Plateforme automobile (PFA), les bornes de recharge investissent les voiries – même si à fin 2021, on comptabilise 50 000 stations environ pour un objectif gouvernemental de 100 000. Cependant, le rythme s’accélère, avec plus de 1000 points ouverts chaque mois, aidés en cela par les acteurs de la grande distribution. Ceux-ci s’attellent à la question : Carrefour par exemple veut équiper l’ensemble de son réseau d’hypermarchés et de supermarchés de bornes électriques, proposant une heure gratuite aux détenteurs de sa carte de fidélité, selon Le Parisien.

En route vers le 100 % électrique

Chez les constructeurs automobiles, les annonces et les plans d’investissement se succèdent pour préparer la fin du moteur thermique prévu à horizon 2035, selon les vœux de la Commission Européenne : 30 milliards d’euros chez BMW, 35 milliards de dollars chez GM, 40 milliards d’euros chez Mercedes Benz (Daimler), 30 milliards d’euros d’investissement chez Stellantis… Au cœur de ce nouvel écosystème automobile, la production de batteries : les projets d’usines se multiplient en Europe. Tesla à Berlin, Renault avec Envision à Douai et Verkor à Grenoble, Stellantis avec TotalEnergies à Douvrin… Ce sont environ 40 gigafactories qui devraient à terme opérer en Europe.

En attendant les progrès des technologies alternatives, telle que l’hydrogène pour les mobilités lourdes et / ou intensives, on pourra cependant mettre tout le monde d’accord sur la place trop importante de la voiture dans l’espace public, et l’organisation de la société en général. Depuis le 1er mars 2022, les publicités pour les véhicules à moteur devront d’ailleurs faire mention d’un message destiné à promouvoir les mobilités alternatives. Quand celles-ci existent, notamment dans les métropoles, le numérique devient un formidable outil pour favoriser le report modal vers les solutions moins émettrices. Grâce aux plateformes MaaS (Mobility as a Service), les utilisateurs peuvent dégainer leur smartphone pour se créer des itinéraires sur-mesure et en temps réel, faisant souvent la part belle aux solutions décarbonées, actives et / ou collectives : Emma à Montpellier, Moovizy à Saint-Etienne… Dans les villes de plus de 100 000 habitants, les usagers deviennent toujours plus agiles dans leurs déplacements du quotidien, avec une multi-modalité en hausse de 8 %. La course à l’application unique n’est cependant pas tâche aisée. Le lancement laborieux de l'application SNCF Connect au début de l'année montre à quel point l'attente des utilisateurs est forte.

© my energi

Révolution digitale : entre inclusion numérique et usage éclairé des données

Mais le développement de ces Services Numériques Multimodaux (SNM) – tels que les désigne la nouvelle Loi d’Orientation des Mobilités (LOM) promulguée en décembre 2019, afin d’organiser enfin la mobilité selon les enjeux de l’époque, quarante ans après la dernière ! – pose d’autres questions. L’accessibilité par le plus grand nombre à ces nouveaux services via l’inclusion numérique en est une. L’usage des données, une autre, notamment leurs « conditions d’ouverture et de réutilisation » – et ceci, afin de respecter les politiques publiques des mobilités et d’y garantir le rôle central des collectivités, comme le rappelait récemment Thierry Mallet, PDG de Transdev, lors d’un colloque de l’Union des transports publics et ferroviaires. À titre d’exemple, Google Maps enrichit depuis février 2022 ses cartographies des grandes villes européennes, dont Paris, d’informations telles que feux de signalisation ou passages piétons. On imagine aisément comment les GAFAM, forts de leur puissance de feu technologique, sauront croiser ces données d’infrastructures avec celles issues des individus, pour créer une somme de nouveaux services… Guillaume Pépy, l’ancien patron de la SNCF, le disait en 2017 : « Mon plus gros concurrent, c’est Google ! »

Le numérique, c’est enfin la possibilité de partager des moyens : voitures, parkings, stations de recharge, conducteurs… Les plateformes de mobilité partagée, qui mettent en commun ces ressources, puis assurent la mise en relation entre demandeur et offreur, sont suffisamment entrées dans les mœurs pour que l’idée de voies de circulation dédiées à cet usage fasse son chemin, souvent aux côtés des véhicules « propres ». C’est par exemple le cas sur l’A48, à Grenoble. Selon l’Observatoire des Mobilités émergentes, le covoiturage enregistre un taux de pénétration de 30 % dans la population française, devant le vélo (26 %) et les VTC (16 %). Et 10 % des automobilistes « se disent ouverts à un usage serviciel du véhicule », tandis que 7 % se déclarent même prêts à renoncer à leur voiture, si une alternative viable était possible.

Nécessaire débat de société

Une alternative viable à la voiture… Voilà ce qui manque le plus souvent aux Français, dans un contexte de hausse des prix de l'énergie qui rend cette dépendance plus lourde et inégalitaire encore. Prenons l'exemple du périurbain : dans une tribune au Monde, Jean Coldefy et Patrick Jeantet rappelaient que la moitié des émissions de la mobilité des aires urbaines est constituée par les flux entre couronnes et centres urbains – les premières réunissant 50 % de la population, là où les seconds n’en pèsent que 8 %. Pour ces deux spécialistes du transport, qui estiment que « 90 % des kilomètres quotidiens sont le fait de trajets supérieurs à 5 kilomètres », seul un triplement de l’offre de transports publics de la périphérie vers le centre nous permettrait de faire face au défi de la décarbonation des mobilités du quotidien… Après des années d'investissements sur les grands projets comme le TGV, l'objectif revendiqué de la LOM – portée par la Première Ministre Elizabeth Borne, au moment de son mandat aux Transports – est justement d'améliorer les déplacements du quotidien sur tous les territoires, notamment avec la possibilité pour les communautés de communes de prendre en charge la compétence mobilité. Les temps changent, les priorités aussi. Reste à assurer leurs financements.

Métro sur pont aérien
© Rowan Heuvel

Dernier levier : la sobriété des usages, en évitant au possible les kilomètres passagers et marchandises. Les experts sont unanimes : la technologie ne suffira pas, et le changement de nos comportements sera un passage obligé de la décarbonation. Dans son rapport « Prospective 2040-2060 des transports et des mobilités » , France Stratégie l’indique sans détour : « L’adhésion des Français à ce projet est l’enjeu le plus délicat. Elle est conditionnée par une répartition jugée équitable des efforts collectifs. Elle repose sur la prise en compte de la diversité des univers de choix et sur la mise en place simultanée, voire préalable, des mesures d’accompagnement nécessaires. Les plus riches, qui émettent plus et pour lesquels les choix sont plus ouverts, doivent s’attendre à être appelés à contribuer proportionnellement plus aux efforts. Cette adhésion ne pourra être véritablement obtenue qu’à l’issue d’un débat de société. » Au moment où Virgin Hyperloop, le projet de capsule ultra-futuriste de Richard Branson au modèle économique incertain, abandonne le transport de personnes et licencie des salariés, se pourrait-il alors que l’avenir de nos mobilités réside dans la concertation, l’inclusion et l’égalité ?