Quel bilan faites-vous de cet été 2021 pour la Région Auvergne-Rhône-Alpes ?
Lionel Flasseur, Directeur général Auvergne-Rhône-Alpes Tourisme : Le bilan est bon, malgré la météo peu clémente en juillet et quelques craintes sur le pass sanitaire, qui a finalement joué un rôle de réassurance. Selon notre baromètre mensuel, deux tiers des professionnels sont satisfaits. Nous avons eu de bonnes surprises, avec une surperformance sur la Savoie, la Drôme, l'Ardèche, la Haute-Loire, mais aussi sur la métropole de Lyon – car le tourisme urbain a souffert pendant la pandémie, sans même parler du tourisme d'affaires au point mort depuis 18 mois.
Au global, les taux d'occupation sont en hausse : 63% en juillet et 68% en août, contre respectivement 49% et 61% en 2020. Bien sûr, la crainte sanitaire reste en toile de fond : on recherche des hébergements pour se retrouver en famille ou entre amis – dans ce contexte, meublés et résidences de tourisme ont bien fonctionné. Mais l'hôtellerie reprend des couleurs.
La clientèle intra-régionale demeure forte : 38% de la fréquentation en juillet, 35% en août – un taux en-deçà de l’année dernière, mais 10 points supérieur à la moyenne. La clientèle nationale est toujours très présente, mais la clientèle internationale opère son retour : 13% des nuitées en juillet, 19% en août. C’est certes inférieur à une année classique (autour de 25%), mais bien au-dessus de 2020. Les Néerlandais et les Belges reviennent, comme les Italiens et les Suisses. Les Américains, au compte-gouttes. En revanche, la baisse est forte chez la clientèle britannique. Mais dans notre région grande comme un pays, il faut observer les aspérités. En Savoie et sur la métropole de Lyon, on a atteint près de 40% de clientèle étrangère !
Nous sommes optimistes sur l’été indien. Et nous préparons ardemment la prochaine saison hiver : si en volume de nuitées, été et hiver sont équivalents, l’hiver pèse très lourd en valeur. Nous n’avons aucun doute sur l’appétence des voyageurs pour le ski, mais sommes attentifs aux conditions dans lesquelles la saison va se dérouler.
L’outdoor, l’itinérance, la montagne font partie de nos thématiques d’excellence. La prise de conscience environnementale est là depuis longtemps. Aujourd’hui, elle est décuplée.

Le tourisme est souvent pointé du doigt pour son impact sur l’environnement. La prise de conscience est-elle avérée, tant chez les touristes que chez les professionnels ? Quel effet a eu la crise ?
LF : Sur cette question, il y a de la méconnaissance, des raccourcis, des idées reçues. Ce n'est pas l'expérience touristique qui pèse le plus lourd, mais le transport. Pour venir dans notre région, les principaux moyens de locomotion sont la voiture et le train.
Nous ne découvrons pas ces sujets. L’outdoor, l’itinérance, la montagne font partie de nos thématiques d’excellence. La prise de conscience est là depuis longtemps, notamment dans le milieu de montagne. Aujourd’hui, elle est décuplée. Les citoyens, les voyageurs l’exigent désormais : selon une enquête Opinion Way, 97% des touristes seraient prêts à avoir une action environnementale sur le site visité !
Le temps n’est plus au constat mais à l’action, car entre la volonté et la réalité, un décalage existe. Un exemple : il existe plus de 200 écolabels, et moins de 1% de l’offre d’hébergements est labellisée. Nous souhaitons prendre notre part. C’est tout le sens de notre démarche Tourisme Bienveillant, qui dépasse la seule responsabilité environnementale pour aller sur les enjeux économiques et sociétaux.
À l’image de Yuka ou du Nutri-Score dans l'alimentation, nous pensons qu’à terme un équivalent existera pour les prestations touristiques.
Quelles grandes tendances irriguent aujourd’hui le tourisme ? En quoi racontent-elles l’évolution de la société ?
LF : Agir, dépasser les discours. Nous prônons le marketing de la preuve. À l’image de ce qui existe dans l'alimentation avec des applications comme Yuka ou le Nutri-Score, nous pensons qu’à terme un équivalent existera pour les prestations touristiques.
Les individus veulent mettre sens et responsabilité dans leur consommation – cela vaut aussi pour le tourisme, un secteur qui pèse lourd dans l’économie. Les pratiques deviennent citoyennes, engagées. Il faut accompagner cette tendance de fond, avec ses corollaires : la recherche de grands espaces, d’activités douces, d’activités qui ont du sens, etc. La fluidité aussi, dans les process d'achat, de réservation, notamment avec le digital. Le tourisme a toujours été à la croisée des grandes révolutions issues de l'internet.
Autre tendance, identifiée grâce à nos insights, et dans laquelle nous nous inscrivons pleinement : plus qu'une parenthèse, les vacances doivent désormais apporter un bénéfice durable. Nous travaillons sur le tourisme de prévention santé depuis plusieurs années, notamment avec les 23 stations thermales de notre territoire. Nous développons un concept de station de pleine santé avec chercheurs et médecins. Lors d’une étude, nous avons pu confirmer le bénéfice réel de la montagne sur les maux de la société moderne : maladies cardiovasculaires, problèmes de sommeil, lutte contre le stress, contre l'obésité, etc. Nous avons lancé un numéro vert de coaching bien-être et santé, pour aider chacun à optimiser son séjour en ce sens.

Pourquoi les mutations actuelles, notamment celles favorisant un tourisme plus durable, peuvent-elles être une opportunité pour les acteurs du tourisme et pour l’économie des territoires ?
LF : Parce qu’au-delà de la responsabilité, cette question devient un critère d’achat, tout simplement. Et un bon marketeur se doit de pressentir et d’écouter ce que veulent les consommateurs. La demande est là, et elle monte crescendo. Chaque semaine, une nouvelle étude sort sur l’exigence de durabilité. Les grands événements internationaux du secteur ne parlent que de cela. Le greenwashing n’est plus possible dans ces conditions.
Contrairement à d’autres secteurs, nous ne cherchons pas à relancer notre économie au seul sens capitalistique. D’ailleurs, notre plan est un plan de transition – et non de relance. Les deux ne s’opposent pas : ces mutations doivent désormais faire partie du modèle économique.
Nous aimerions travailler de manière plus forte avec Airbnb, mais le problème de la fiscalité existe. Notre responsabilité va jusque-là. C’est cela aussi, le tourisme bienveillant.
Nous veillons de très près à l’impact réel du tourisme dans la vie des gens. Nous accompagnons les acteurs pour que le ruissellement de cette économie profite avant tout aux territoires : embauche, fiscalité, etc. Par exemple, nous aimerions travailler de manière plus forte avec Airbnb, mais le problème de la fiscalité existe. Tandis qu’une société comme Expedia a réglé en partie cette question, avec un siège en France et une fiscalité acquittée dans notre pays. Notre responsabilité va jusque-là. C’est cela aussi, le tourisme bienveillant.
Le développement de l’économie locale ne peut se faire que dans l’acceptabilité de ceux qui vivent sur le territoire et l’accompagnement de ceux qui viennent le visiter. Ce rapport visiteur-visité est un vrai sujet, accéléré avec la crise. Si les habitants n'accompagnent pas le tourisme, les projets ne peuvent pas se développer. Savez-vous quel est le premier critère d'une expérience touristique réussie, au niveau européen depuis des années ? Le rapport avec l'habitant pendant le séjour. Devant la sécurité, le confort de l’hôtel, la beauté des paysages. On l’oublie trop souvent. Il faut tenir compte de ce lien, mais aussi le sublimer : parce qu’il donne envie de revenir.
L’une des originalités de votre démarche "Tourisme Bienveillant" consiste en un fonds de dotation. Quels sont les projets que vous soutenez ?
LF : Nous avons lancé le concept du Tourisme Bienveillant en 2018, avec un manifeste. De nombreuses initiatives ont suivi : site d’emploi, focus sur le tourisme de proximité, etc. Nous avons développé des indicateurs dédiés, pour avoir une vue plus large que la seule mesure économique.
Le fonds de dotation Essentiem est l’une des pierres angulaires du Tourisme Bienveillant. Le tourisme n’est pas a priori éligible aux politiques de mécénat. Ce fonds de dotation permet à des financements privés de contribuer à des projets d'intérêt général, contre un avantage fiscal d’environ 60%. C'est nouveau et unique en France.

Essentiem est une entité juridique indépendante et d'envergure nationale, avec un collège fondateur de 7 membres : Auvergne-Rhône-Alpes Tourisme, CRT Occitanie, Club Med, Domaines Skiables de France, Vacancéole, VVF et Easyvoyage. Nous agissons dans trois domaines : l'environnement, le tourisme pour tous, la connaissance. Quelques exemples : l’opération Montagne Solidaire de France Montagne a permis de faire partir le personnel soignant en vacances gratuitement. Des milliers de jeunes sont partis à la montagne avec l’ANCV, et 300 familles défavorisées en vacances avec Vacances Ouvertes. Nous travaillons aussi sur la sobriété numérique avec l’Afnor et l’Ademe.
Outre les projets définis par le Conseil d’administration, Essentiem héberge des fonds de dotation dédiés. Dernier en date, le fonds Aix les Bains Riviera des Alpes. Ainsi, tout acteur du tourisme qui veut à l’échelle nationale creuser la voie de la philanthropie, du mécénat, de l'intérêt général peut nous rejoindre via ce véhicule.
Quelle est votre principale nouveauté pour l’année 2021 ?
LF : Nous lançons le 18 octobre la web app ‘Partir ici’ (dans un premier temps destinée aux habitants de la région), destinée à valoriser les expériences empreintes du tourisme bienveillant. Les professionnels peuvent y recenser leurs offres, grâce à un outil d’autoévaluation développé avec l’ATES (Association pour le Tourisme Équitable et Solidaire).
Le tourisme urbain est essentiel. Le grand défi consiste désormais à sortir du city break à tout va. La ville doit devenir un camp de base qui irrigue les territoires.
Le tourisme de métropole a-t-il encore de l’avenir ?
LF : L’un des principaux enjeux du tourisme bienveillant réside en une meilleure répartition spatio-temporelle : 80% des gens visitent 20% du territoire – la loi de Pareto inversée ! Nous croyons à la croissance durable, à condition de savoir répartir les activités sur le territoire et dans le temps.
Et cela vaut aussi bien aussi pour le tourisme de métropole que de montagne. Dans la répartition des nuitées marchandes françaises au global de l'année en Auvergne-Rhône-Alpes, les destinations urbaines en constituent un tiers, auprès des deux autres formés par la montagne et la campagne. Notre tourisme urbain est à taille humaine, non anxiogène : c’est une chance. La métropole de Lyon engage une action remarquable depuis plusieurs années, avec la démarche “Tourisme Différent”.
Le grand défi consiste à sortir du city break à tout va. Prendre un avion le vendredi soir pour 40 euros, aller à Madrid ou Londres, rentrer le dimanche soir. Nous luttons aujourd’hui avec la SNCF pour réinstaurer les trains de nuit, avec l'Eurostar pour réinstaurer les trains neige – la rentabilité économique immédiate de ces modèles est peut-être encore en leur défaveur, mais il n’est plus possible de raisonner à l’aune du seul bas de bilan.
Les villes doivent aussi se mettre en position de devenir des camps de base pour rayonner et irriguer un territoire. Le périmètre d’attractivité touristique d’une destination est plus vaste que son périmètre administratif. A l’international, je trouve l’exemple de San Francisco, qui nous invite aussi bien à rester en ville qu’à visiter les vignobles, très inspirant. Grenoble travaille en ce sens, avec sa revue Camp de base.
Comment sortir du tourisme de masse sans devenir élitiste ?
LF : Nous sommes la deuxième région touristique française. Nous sommes une collection de destinations, pour tous les goûts, pour tous les moyens économiques. Notre approche n’est pas élitiste, mais segmentée.
Encore une fois, regardons la réalité des chiffres pour éviter les raccourcis. Difficile de parler de tourisme de masse en Auvergne ou dans le Cantal ! Au contraire, nous devons encore fournir des efforts pour amener dans ces territoires… Et nous devons avoir l'obsession de la valeur – au sens large : la valeur économique, la valeur du service, la valeur de la réputation, etc. Tout cela s'inscrit dans le tourisme bienveillant.

Le vendredi 1er octobre, de 12 à 13h, Lionel Flasseur sera l'invité de Et Demain Notre ADN L'Emission spécial Tourisme Durable. Inscrivez-vous pour rejoindre la conversation.
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