Une main qui va attraper quelque chose

Et si trouver votre business model à impact était plus simple que ce que vous pensiez ?

Un dossier parrainé par Paris Retail Week
© Cottonbro

Chacun cherche son business model à impact... Et si dans cette quête qui confine presque à celle du Graal, la réponse se trouvait à proximité de ce que les entreprises font déjà ? Démonstration par l'exemple pour le secteur de la distribution, avec ce point de vue d'Arnaud Florentin, directeur associé, et Elisabeth Laville, fondatrice, de l'agence Utopies.

Dans un contexte où les entreprises sont sommées de s’engager sur la voie d’une croissance plus soutenable (voire d’une post-croissance), la question des Modèles Economiques à Impact (Impact Business Models en anglais soit IBM¹ — l’acronyme que nous utiliserons par simplification ici) devient incontournable. Il s’agit d’un changement de paradigme pour l’entreprise — visant à comprendre comment impacter la société par le modèle d’affaires et plus seulement par l’excellence opérationnelle, comment générer des impacts positifs intrinsèques à l’activité et plus seulement en limiter les impacts négatifs.

Les pressions croissantes exercées sur les entreprises pour qu’elles intègrent à leur modèle d’affaires les grands enjeux de notre époque (comme le changement climatique, la biodiversité, l’impact territorial, l’inclusion sociale, etc.) et les risques d’impact washing que leurs parties prenantes sont promptes à pointer du doigt, poussent nombre d’entre elles dans la difficile quête d’un IBM, un modèle économique qui soit conçu intentionnellement de manière à créer un résultat positif spécifique pour les parties prenantes et qui représente une part significative de l’activité de l’entreprise (plutôt qu’une activité à la marge, servant d’alibi vert).

© Thinking Mu, la marque espagnole éthique et engagée

Le jeu en vaut la chandelle pour le retail : un client qui perçoit positivement l’engagement d’une enseigne affiche une intention d’achat 2,7 fois supérieure

Dans le secteur de la distribution, le jeu en vaut la chandelle : un client qui perçoit positivement l’engagement d’une enseigne affiche en moyenne une intention d’achat 2,7 fois supérieure à celle d’un client qui ne perçoit pas cet engagement de manière positive². Pour les enseignes ou marques enseignes, l’impact inscrit de manière convaincante au cœur de l’ADN constitue donc un puissant levier de création de valeur et de différenciation.

Toutefois, la marche n’est pas si simple à gravir. La très exigeante certification B Corp, qui fédère près de 6000 entreprises de toutes tailles et tous secteurs dans plus de 80 pays (dont déjà près de 200 en France), est aujourd’hui la seule à proposer un cadre de travail sur les IBM, qui représente près de la moitié des questions complètes de son référentiel d’autoévaluation³. Le questionnaire d’évaluation propose dans chaque section une partie dédiée aux modèles à impact. B Corp identifie plus de vingt modèles économiques à impact qui apparaissent dans le détail de la note globale finalement publiée quand l’entreprise est certifiée.

Aujourd’hui, très peu d’enseignes de vente au détail (en magasin) figurent dans le palmarès B Corp — seulement deux en France (Naturalia et Nature & Découvertes⁴) — cependant qu’une poignée d’entre elles arrive à « déclencher » un IBM et à y glaner un maximum de points. A contrario, les acteurs de l'e-commerce et plateformes (physiques ou digitales) qui proposent une forme de désintermédiation et un lien direct avec les producteurs, sont de plus en plus nombreux au sein de la communauté B Corp à proposer des modèles d’affaires à impact (à l’instar de la CAMIF ou de la Ruche qui dit Oui en France⁵).

© La Ruche qui dit oui

Pourquoi cette difficulté des distributeurs à incorporer l’impact au cœur de leur ADN et de leur activité ? Plusieurs raisons peuvent être avancées : un marché historiquement tiré par la demande plus que par l’offre, la pression des prix inhérente au secteur, la difficulté à jouer le rôle de « sélectionneur » et à imposer des codes ou des cahiers des charges, un marketing vert qui s’est fait prendre à son propre jeu (lançant des gammes vertes additionnelles plutôt que de transformer les gammes conventionnelles), la difficulté pour les enseignes à gérer le surcoût des produits à impact, le relatif manque d’agilité du canal physique pour penser l’impact (et la difficulté à utiliser le canal digital sans se heurter à d’autres enjeux éthiques ou environnementaux).

Quel chemin les enseignes peuvent-elles emprunter ? Parce qu’un IBM selon les termes de B Corp est par définition rare et exceptionnel, on peut penser que son design doit être par nature résolument rupturiste, à l’opposé des modèles conventionnels. Paralysées par cette complexité, les entreprises se lancent bien souvent à la quête d’une « Big Idea » ou d’un schéma complexe d’innovation qui ne s’avère que rarement capables de bousculer le marché.

L’opportunité adjacente a un énorme avantage - celui de ne pas partir d’une feuille blanche, et de garder une certaine continuité avec le modèle d’affaires actuel

Pourtant, si on analyse attentivement les entreprises (tous secteurs confondus) qui ont réussi à développer ces modèles d’affaires si vertueux⁶, on se rend compte qu’elles excellent surtout dans ce que le biologiste Stuart Kauffman appelle « les possibilités adjacentes », celles qui sont à portée de main, peu éloignées de ce que l’entreprise connaît ou sait déjà faire : ces entreprises verticalisent l’amont agricole ou industriel, elles accompagnent les fournisseurs dans leur transformation, elles développent en propre des plateformes de recyclage, elles exploitent pleinement leurs sous-produits ou coproduits, elles louent ou réparent les produits qu’elles commercialisent déjà, elles ouvrent leur usine ou cofabriquent grâce à une autre située à proximité, elles exploitent plus efficacement les lieux (de production ou de vente) pour créer un laboratoire ou un hub local, elles développent davantage de synergies entre métiers et proposent des offres globales (contrats de services intégrés), elles s’appuient sur des réseaux de microproducteurs qui manquent de lisibilité quand ils sont isolés, elles valorisent des patrimoines locaux (artisanaux, artistiques ou fonciers) ou quantité de bonnes idées laissées sur le bord de la route au cours de l’histoire…

© Polina Tankilevitch

En somme, elles explorent l’adjacent par la valorisation de savoir-faire ou des ressources disponibles, dormantes ou sous-exploitées, qui leur permettent de profiter d’une brèche, puis d’en découvrir de nouvelles et ainsi véritablement de repenser leur modèle d’affaires. L’opportunité adjacente a aussi un énorme avantage — celui de ne pas partir d’une feuille blanche, et de garder une certaine continuité avec le modèle d’affaires actuel.

C’est exactement cette logique d’innovation par le voisinage immédiat qui a permis à certaines enseignes de façonner ces dernières années, et parfois en un temps record, un véritable modèle de distribution à impact qui va bien au-delà d’une simple gestion responsable des activités :

Athleta (groupe GAP), à travers ses 234 magasins en Amérique du Nord, crée et commercialise des vêtements conçus par des femmes athlètes. Fait remarquable, près de 80% des produits Athleta sont fabriqués à partir de matériaux recyclés et durables (un chiffre qui a doublé en quelques années à peine). La secret sauce d’Athleta est d’avoir su s’appuyer sur les producteurs de fibres durables les plus en vue comme l’italien Aquafil ou l’autrichien Lenzing, et lancer avec eux des partenariats de cocréation pour incorporer au mieux ces fibres dans leurs vêtements de sport ;

Eileen Fisher, enseigne de prêt-à-porter pour femmes (60 magasins et plus de 1000 salariés dans le monde), connue pour ses designs minimalistes, a développé depuis une dizaine d’années un ingénieux programme de circularité s’appuyant sur ses points de vente. L’enseigne a d’abord développé un ambitieux programme de reprise de vêtements, puis a lancé le « Lab Store » pour vendre ces vêtements recyclés et a ouvert récemment la « Tiny Factory » où sont réalisés de nouveaux designs avec les vêtements récupérés — un espace qui est devenu un véritable incubateur pour créateurs. La marque a rapidement progressé vers la circularité (réduisant ainsi de 47% son empreinte environnementale) en transformant des vêtements récupérés en une collection économiquement viable de vêtements upcyclés ;

© Zingerman's

Les enseignes Zingerman’s et Bi-Rite Market proposent un modèle de type « Community of businesses » dans lequel elles réunissent une famille d’entreprises dont les produits sont vendus en boutique traiteur. Désireuses de maximiser leur ancrage local, ces deux enseignes, plutôt que de se développer en réseau à travers les États-Unis, ont opté pour un développement verticalisé en local. Depuis 1982, Zingerman’s a ainsi progressivement développé, dans un rayon de quelques kilomètres carrés autour de sa boutique initiale de Delicatessen à Ann Arbor (Michigan), un impressionnant écosystème de 15 entreprises et 700 emplois, avec sa propre ferme et ses propres entreprises (café, boulangerie, confiserie, fromagerie, restaurants, et même des services aux entreprises). Sur un mode opératoire similaire, Bi-Rite a transformé une simple boutique gourmet réputée de San-Francisco en une des enseignes les plus influentes sur l’engagement communautaire outre-Atlantique.

Le magasin Unto, au cœur de Londres, fabrique des meubles réalisés à la demande et sur mesure dans un atelier situé à l’arrière de la boutique. Le process permet de produire sans frais de transport ni de stockage, sans risque de surstockage et sans emballages, ce qui leur permet d'être compétitifs sur les prix, malgré les volumes de production. L’enseigne a trouvé la formule miracle en adoptant le lean manufacturing au niveau local, une sorte de concept mixant l’approche IKEA avec les méthodes de Toyota, auxquelles les membres de l’équipe ont été formés. Un développement de la méthode Unto This Last en franchise est actuellement en projet.

En conclusion, dans la distribution comme dans d’autres secteurs, on ne peut frapper qu’aux portes que l’on peut voir… Et la construction réussie d’un modèle économique à impact passe davantage par la contiguïté que par la complexité associée à un potentiel « grand saut » vers un modèle « régénératif » ou « symbiotique ». La simplicité est la sophistication suprême, disait Léonard de Vinci. Faire simple, c’est sonder les multiples limites de l’entreprise, trouver une ouverture et changer de perspective. Pour les enseignes, la clé de l’impact est probablement dans leur capacité à explorer les limites du présent en renouant avec un certain esprit entrepreneurial.

¹ IBM et Impact Business Model sont les termes utilisés par le référentiel B Corp, que nous avons utilisés pour l’étude qui fonde le présent article.
² Ce ratio d’élasticité monte à 3,3 pour la restauration, 3,7 pour la cosmétique ou 4 pour la mode (Source : Observatoire des marques positives, 2018, Utopies).
³ Qui est, rappelons-le, gratuit et accessible en ligne à toute entreprise qui le souhaite, même si elle n’est pas intéressée par la certification (200 000 entreprises l’ont déjà utilisé dans le monde) : bimpactassessment.net
⁴ Naturalia performe sur l’IBM « Produits et services réduisant ou remédiant définitivement à la pollution ou aux toxines » alors que Natures et Découvertes performe sur l’IBM « Politique de don ».
⁵ Qui performe surtout sur l’IBM « Développement économique local »
⁶ Étude empirique réalisée par le cabinet Utopies sur un échantillon de 228 entreprises internationales certifiées B Corp, affichant une viabilité économique et un score très élevé sur au moins un IBM du questionnaire B Corp.


Pour en savoir plus, découvrez l’étude « Modèles d’affaires à impact : innover par l’adjacent » qui sera disponible en téléchargement sur le site utopies.com le mardi 13 septembre prochain.