Que vaut le live shopping en Europe ? Zoom sur ce registre de vente qui, malgré les récents retraits de Facebook ou de TikTok, pourrait bien trouver la martingale avec l’aide de certains consommateurs…
Certes, il engendre des millions de vues et de yuans en Chine. Pourtant Facebook et TikTok ont annoncé cette année prendre du recul sur ce qui était présenté jusqu'à maintenant comme l’une des modalités shopping les plus prometteuses. À peine débarqué sur les écrans, le clap de fin est-il déjà venu pour le live shopping ? On a posé la question à l’un de ses pionniers français, Antoine Olive. Le VP Live Shopping de la société Skeepers détaille ce qui fonctionne en Occident et partage avec nous ses prédictions sur l’avenir d’un type de vente aux codes bien particuliers.
Facebook abandonne sa fonctionnalité live shopping au profit des Reels, TikTok renonce à étendre ses services live shopping en Europe… Comment analysez-vous ces mouvements de marché ? Serait-ce la preuve que le succès asiatique de ce registre n’est pas réplicable en Occident ?
Antoine Olive : En Asie, le marché est dominé par les super apps, comme Taobao, Alibaba, Douyin…, qui centralisent l'intégralité de l'audience asiatique sur tous types d’usages. En Occident, les audiences sont beaucoup plus éclatées et dispersées. Les destinations shopping sont variées, du site de marque à la plateforme multimarques. Même chose pour les médias. Et du côté des réseaux sociaux, les usages sont aussi ‘spécialisés’ : on s’informe sur Twitter, on se divertit sur TikTok, on communique avec ses amis sur Facebook, on va chercher de l’inspiration sur Instagram, etc.
Malgré ses efforts, Facebook n’a jamais réussi à s’imposer comme une destination shopping. C’est un média loisirs. En ce sens, je ne suis pas surpris – en tout cas, moins que pour TikTok. Ici, je pense qu’il s’agit plutôt d’un problème de rétention. L’UX de TikTok encourage l’entertainment ultrarapide à coups de snap content et de scroll infini – ce qui est l'inverse du live shopping qui cherche, lui, à capter l’attention du spectateur sur une longue durée, ce qui tient plus de l'émission. Mais je suis convaincu que TikTok reviendra, avec des briques e-commerce adaptées, où l’on flaggue un produit sur une mini-vidéo, dans une logique de massification – plutôt que de qualification et de qualité, en tout cas telle que la recherchent nos clients en Occident.
Un réseau comme Instagram a bien plus de potentiel pour le live shopping, dans son ADN, dans sa ligne éditoriale, dans l’organisation de l’appli. Un feed découverte, un menu dédié à l'e-commerce… et aux Etats-Unis, la fonction check-out qui permet de payer sans sortir de la plateforme. Là-bas, 44 % de l'audience d'Instagram réalise une transaction par semaine !

Alors faut-il dire que ce marché n’a de l’avenir qu’en Asie ? Ce n’est pas l’avis d’eBay qui continue de déployer le live shopping pour les transactions à haute valeur ajoutée, de Pinterest avec leur brique live shopping ou encore Amazon, qui relance Amazon Live, un projet pourtant avorté en 2017… De notre côté, chez Skeepers, nous voyons l’audience de nos clients augmenter, live après live.
Le live shopping, c'est une question de crédibilité éditoriale et d'engagement des communautés, pas de taille de marque.
Côté chiffres, justement, pouvez-vous nous donner quelques ordres de grandeur ?
A.O. : Nous avons commencé notre activité en septembre 2019. Début 2020, nous avions nos premiers clients. Aujourd’hui, nous en comptons une centaine. Sur l’année 2021, nous avons diffusé plus de 600 lives. Et en 2022, ça sera trois fois plus, aussi parce que la récurrence chez les clients diffuseurs augmente.
20 % de nos clients aujourd'hui font plus de 1000 viewers par live – en 2021, ils étaient entre 2% et 5%. Les replays sont aussi significatifs. Mais cela ne se fait pas en J1. Il faut savoir engager les communautés, avec une crédibilité éditoriale forte. Et ce n’est pas une question de taille de marque. Il y a une courbe d'apprentissage des équipes. Comment puis-je améliorer mon taux de transformation ? Comment être plus incisif ? Etc. En Europe, nous atteignons déjà entre 10 et 12% de transformation. Mais en Asie, ils ont des pics à 40 ou 60% ! Micromania, par exemple, est déjà capable de générer le chiffre d’affaires d’une journée magasin – soit plusieurs dizaines de milliers d’euros – en seulement 45 minutes d’émission. Évidemment, ce ne sont pas les milliards enregistrés sur les marchés asiatiques, mais pour nos territoires, cela reste une vraie performance.
Que viennent chercher les retailers dans le live shopping ?
A.O. : Le live shopping permet aux retailers de véhiculer en ligne l’expérience de marque d’une façon beaucoup plus chaleureuse – au moment où les enseignes réduisent leur parc de magasins et augmentent de façon substantielle leurs objectifs e-commerce. Le live shopping permet d’interagir et d’engager avec son audience, d’humaniser le parcours digital, sur la base de la découverte produit. Pour 100 000 individus qui passent quelques secondes sur mon site, comment qualifier les 100 autres qui ont écouté mon vendeur pendant 10 minutes sur un live de 30 minutes – puisque c’est le ratio moyen constaté ? Ces ‘super lovers’ de la marque ont une valeur média et expérientielle hyperforte.
Et c’est ainsi que ce registre de vente est pris aujourd'hui sur nos marchés : un sujet qui améliore l’expérience de vente, qui anime le CRM, qui renforce la fidélisation, qui contribue à bâtir des communautés engagées sur les plateformes e-commerce, plutôt que sur les réseaux sociaux. Quand on sait que plus d'un navigateur sur deux reste moins d'une minute sur le site d'e-commerce d'une marque, on comprend mieux l’enjeu pour les retailers à drainer et retenir le trafic sur leurs sites.
Comment s’organisent-ils pour ces productions ?
A.O. : Il ne s’agit pas de monter un Netflix du live shopping en interne. Ce n’est pas une logique de production type show télé, c’est beaucoup plus léger. En revanche, les retailers l’intègrent et le structurent dans leurs activités, avec des ressources techniques, de community management, de gestion de projets dédiées, un corner de production en interne. Chez Decathlon, chez Monoprix, Micromania, IKKS, etc. La démarche s’industrialise, avec une mécanique de rendez-vous, des incentives issus du monde physique : jeu-concours, cadeaux, promotions, etc.

Le fil rouge, c’est l’authenticité et l’accessibilité. C’est ce que recherche l’audience pour oser prendre la parole, poser des questions, mieux comprendre le produit, sa technicité, ses innovations. Il ne s’agit pas de donner l’impression de regarder un spot publicitaire hyperléché. Parce qu’encore une fois, il s’agit d’une démarche d’animation des communautés, et non de branding.
Je crois beaucoup au potentiel du live shopping sur Twitch, qui partage les mêmes fondamentaux vidéo et live chat, et sait créer des communautés puissantes.
Quel est le futur du live shopping selon vous ?
A.O. : Je crois beaucoup à Twitch. Parce que ce réseau utilise le médium vidéo et le live chat – qui sont justement les fondamentaux du live shopping – parce que des communautés puissantes s’y sont créées, du gaming à la politique, en passant par la cuisine, etc. C’est le renouveau de la télé en version DIY, avec de nouveaux créateurs de contenus qui réinterprètent les codes de la télé à leur façon. Demain, si je suis une marque de cuisine, j’aurai sans doute intérêt à capter cette communauté de ‘foodies’… Sans oublier que Twitch est détenu par Amazon ! Et je pense qu’Instagram va continuer à monter en puissance. L’initiative de Brut (ndlr : Brut a anoncé la création d’une coentreprise de live shopping avec Carrefour) est aussi un signal positif. L’usage va continuer de s’installer, notamment grâce à l’apport des créateurs de contenus.
Jusqu’à présent, les marques privilégient les présentateurs maison : salariés, vendeurs, chefs de produit, responsables marketing, etc. qui ont une réelle connaissance du produit. À La Redoute, la présentatrice est maison et elle a sa petite notoriété. L'audience la connaît. Ou bien dans le cas de Micromania, la parole est incarnée par le présentateur télé Alex Goude. Son live bénéficie d’un beau bouche-à-oreille dans la communauté gamer sur Twitch. Pourquoi ? Parce que le live est sympa, mais surtout parce que Goude est une bible vivante des jeux vidéo. L’audience lui fait confiance. Mais demain, les marques s’appuieront aussi sur des micro-influenceurs et nano influenceurs. C’est notre conviction. Nous travaillons en ce sens, avec des briques logicielles qui permettent aux entreprises de donner la main à ces populations, extrêmement expertes et puissantes en termes d’engagement de communautés, pour produire de la vidéo depuis chez eux, en toute autonomie.
« Aujourd’hui, le consommateur est prescripteur. Demain, il sera vendeur », dîtes-vous…
A.O. : C’est le Key Opinion Customer… Il peut s’incarner dans ce nano influenceur, ce micro-influenceur qui est super fan de la marque et a envie de contribuer à la création de contenus sur les réseaux sociaux. Comme un super vendeur Tupperware !
Je vous parlais tout à l’heure de la première tentative avortée d’Amazon aux Etats-Unis, et qu’ils relancent aujourd’hui. L’une des raisons qui ont présidé à cet abandon du projet en 2017 avait à voir avec les sommes réclamées par les méga influenceurs, ceux-là mêmes capables de facturer 50 000 dollars par post, pour faire des Amazon Live avec 100 ou 200 spectateurs. La performance économique était évidemment déceptive, et la frustration évidente. Mais avec cette approche renouvelée, basée sur cette génération de créateurs de contenus, ces micro-influenceurs super fans de la marque, capables de venir en parler face caméra comme autant de Pierre Bellemare nouvelle génération, je suis convaincu que le live shopping va se massifier.