Clem-Onojeghuoh

2021, le commerce réinventé

Un dossier parrainé par Biocoop
© Clem Onojeghuoh

Nombreux sont les magasins qui ont dû baisser le rideau pour cause de pandémie, mais s’il restait une porte ouverte à enfoncer avant d’aborder en détail les mutations de la distribution, elle s'énoncerait comme suit : oui, 2020 aura bel et bien été un moment charnière dans la façon de faire commerce – aussi bien du côté des distributeurs, que des consommateurs.

Derrière l’essor de l’e-commerce, des réalités contrastées

Entre confinements, restrictions de circulation, fermetures administratives et stress pandémique, la consommation des ménages a décroché de 7% en 2020, selon l’INSEE. Dans ce contexte, Internet aura permis d’amortir le choc : l’e-commerce en France a drainé 112 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2020. Selon la Fédération de l’e-commerce et de la vente à distance, la hausse est de 8,5% en un an, contre 11,6% en 2019.

Difficile toutefois de comparer ces variations, tant cette année atypique recouvre des réalités très contrastées selon les secteurs : tandis que les ventes de produits sont en croissance de 32%, les services reculent de 10% – avec notamment un crash de 47% pour le voyage.

Le commerce en ligne représente aujourd’hui 13,4% du commerce de détail en France, contre 9,8% en 2019. Parler d’accélération des usages digitaux n’est pas une hyperbole : selon Marc Lolivier, délégué général de la Fédération, « la crise a fait gagner quatre ans au développement de l’e-commerce. » Selon les données de Kantar World Panel, 40,3% des foyers français ont acheté en ligne en 2020, contre 31,5% en 2019.

Ce sont ainsi 2,5 millions de nouveaux consommateurs qui ont passé ce cap, poussés par les confinements, fermetures administratives et autres restrictions de circulation, sous les diverses modalités désormais permises par l’exercice : livraison à domicile, drive, click and collect.

©Christian Horz

L'e-commerce alimentaire décolle

Comme le contexte dans lequel elle s’inscrit, cette migration vers le online est globale. D’après le Future 100 de Wunderman Thomson Intelligence, les ventes en ligne ont constitué 33% des ventes totales au Royaume-Uni en mai 2020, contre 19% en février de la même année. Aux États-Unis, la croissance de l’e-commerce a été de 32% au deuxième trimestre 2020 par rapport au premier, et de 44,5% par rapport à la même période 2019, pour une valeur globale de 211,5 milliards de dollars.

Longtemps à la traîne pour des raisons structurelles, le marché de l’alimentaire sur internet se développait jusqu'alors lentement, et surtout grâce au très franco-français Drive. Une pandémie plus tard, les ventes ont décollé.

C’est tout particulièrement vrai pour l’alimentaire et plus généralement, les produits de grande consommation : un quart des Français ont réalisé pour la première fois leurs courses alimentaires en ligne. Longtemps à la traîne pour des raisons structurelles (transport, chaîne du froid, coût, etc.), le marché de l’alimentaire sur internet se développait plutôt lentement, et surtout grâce au très franco-français drive apparu dans les années 2010.

Une pandémie plus tard, les ventes en ligne ont décollé : le canal e-commerce représente désormais une part de marché de 8,5% dans le marché alimentaire total, en croissance de deux points par rapport à 2019. Une croissance qui a bénéficié non seulement aux grandes enseignes, mais aussi aux acteurs du bio et des circuits courts, selon ecommercemag.

Accompagner la digitalisation des petits commerces

À noter enfin, le dynamisme des marketplaces, dont la croissance de 27% sur l’année est deux fois plus rapide qu’en 2019. Ces plateformes entre acheteurs et vendeurs ont permis aux petits commerces d’absorber partiellement le choc, tout en les familiarisant avec le numérique. Et du côté de ces nouveaux entremetteurs, et notamment d’Amazon pour ne pas citer le leader en la matière, on se sera aussi servi de cette activité de mise en relation comme pare-feu à la polémique née du distinguo entre les commerces dits « essentiels » et les autres.

Les consommateurs ont-ils été convaincus par la communication de l’ogre américain ? Quoi qu’il en soit, l’épisode aura servi à mettre à jour la nécessité d’accompagner les petits commerces dans leur digitalisation. Au point qu’un programme TV dédié à la question vient de voir le jour, Connecte ta boîte, porté par France Num et Next Médias (BFM).

La notion d’arbitrage est clé : les consommateurs cherchent à intégrer chaque jour davantage, et de plus en plus finement, les considérations de l’époque.

Consommation responsable et arbitrage entre critères

Car, tandis que les hypermarchés peinent à retrouver leur niveau pré-Covid, les Français se laissent de plus en plus séduire par les circuits alternatifs : +20% pour les commerces de proximité et + 100% pour les circuits courts, toujours selon SAP et Accenture.

L’Observatoire de la petite entreprise qualifie cette proximité de « valeur refuge qui redessine le commerce », par sa capacité à créer du positif économique et social dans la vie des quartiers. Mais le prix demeure un critère essentiel, dont les ménages, et par conséquent les distributeurs, ne pourront pas faire l’économie dans un contexte de crise. La notion d’arbitrage est clé : les consommateurs cherchent à intégrer chaque jour davantage, et de plus en plus finement, les considérations de l’époque : santé, écologie, politique, porte-monnaie…

©Dan Christian Padure

12 milliards d'euros pour la consommation bio

La santé du secteur bio en constitue la preuve éclatante. Affichant depuis 2013 une croissance d’une vigueur remarquable (1,3 milliard d’euros par an, selon une étude de l’Agence Bio), le marché a continué de performer en 2020 : le chiffre d’affaires de la consommation bio en France dépasse désormais les 12 milliards d’euros, dont 4 milliards réalisés par les magasins spécialisés.

Autant dire que le segment attire désormais bien des convoitises, notamment celles des distributeurs traditionnels – comme l’aura démontré la bataille acharnée pour la reprise de Bio C’ Bon, finalement remportée par Carrefour.

Face à cette concurrence accrue, les spécialistes affichent haut et fort leur différence, comme chez Biocoop : cahier des charges renforcé, priorité aux petites entreprises locales et équitables, développement de filières en propre… Pour le pionnier du circuit spécialisé, “la bio”, ce n’est pas qu’un logo AB sur un emballage recyclable, mais un véritable “projet de société”.

Et ça marche ! Leader du circuit spécialisé avec 48% de parts de marché, Biocoop a enregistré un chiffre d’affaires de 1,6 milliard d’euros, en croissance de 16% sur 2020 – enregistrant même une légère accélération (15% en 2019). L’enseigne a doublé son maillage territorial en 5 ans, et vient d’ouvrir son 700ème magasin.

Plus digital ou plus humain ?

Alors, le Covid rend-il la distribution plus digitale ou plus humaine ? Possiblement les deux, mon capitaine. Car dans ce contexte inédit, de mêmes forces peuvent se révéler contradictoires ou complémentaires, selon les configurations et ce que l’on en fait.

La vente directe pourrait être l’illustration de ce phénomène, avec ce que Les Échos qualifient de « renaissance »  : l’impossibilité de tenir réunion à domicile a accéléré la numérisation pour ce secteur qui compte 6 000 entreprises et 700 000 emplois, avec l’arrivée en puissance d’une nouvelle génération de conseillers biberonnés aux réseaux sociaux et la revalorisation du lien social que permet ce registre de vente.

Plus largement, les marchands français sont de plus en plus nombreux à s'intéresser au live shopping, qui mêle streaming vidéo et interaction avec les clients. Cette modalité – qui faisait déjà le bonheur des consommateurs chinois depuis quelque temps (4% de l’e-commerce chinois en 2020) –, par exemple lors du Singles’ Day, fait l’objet de nombreux tests.

Selon une étude Altavia ShopperMind avec Opinion Way, près d’une personne sur quatre en a entendu parler. Et ce télé-achat d’un nouveau genre semble séduire les jeunes générations, puisque plus d’une jeune femme de moins de 25 ans sur deux se déclare intéressée.

L’époque marque sans conteste la mise en œuvre de l’omnicanalité, désignant dans le jargon marketing la capacité d’une entreprise à gérer de façon simultanée et synchronisée l’ensemble de ses points de contact – considérée comme le Graal de la distribution moderne.

Retour en grâce de la logistique

©Barrett Ward

C’est qu’en 2021, la logistique a gagné ses lettres de noblesse. Une discipline de l’ombre, longtemps perçue comme ingrate, et qui occupe soudain le devant de la scène. Aurions-nous un instant pensé, dans le monde d’avant, que les ruptures de papier toilette et de farine viendraient à faire la une des journaux ?

On imagine souvent que le futur de la supply chain se joue dans de grands entrepôts bardés de technologies, mais un autre modèle se répand aussi dans le secteur : les dark stores.

Dès lors, les distributeurs revoient leurs processus pour intégrer les nouveaux usages accélérés par la crise : travailler à l’unification, à la fiabilité et à la disponibilité de leurs stocks, opérer en temps réel sur l’ensemble des canaux, aménager leurs magasins pour intégrer le drive, le click and collect ou le ship from store, former leurs collaborateurs à ces nouvelles modalités sans pour autant peser sur le modèle traditionnel ou l’expérience client…

Dark stores...

On imagine souvent que le futur de la supply chain se jouera dans de grands entrepôts bardés de technologies – comme Monoprix et son centre de distribution entièrement automatisémais un autre modèle se répand aussi dans le secteur : les dark stores, ces lieux fermés au public, à mi-chemin entre magasin et entrepôt, que sillonnent les employés en charge du picking (l’étape de la collecte des produits dans la préparation des commandes) et situés plutôt en zone urbaine, pour réduire les distances entre stocks et consommateurs.

En septembre 2020, Whole Foods (propriété d’Amazon) a ainsi ouvert un « on-line only store » à Brooklyn, uniquement consacré à la livraison et au retrait, voire restreint les heures d’ouverture au public de magasins existants selon la même logique. Kroger, Giant Eagle ou Macy’s expérimentent aussi en ce sens. En France, Franprix avait aussi partiellement fermé certains magasins, afin de faire face à l’explosion des commandes pendant le confinement.

©Mike Mozart

Courses à la demande

Mais l’approche dark store touche aussi le segment des petites courses et de l’épicerie de dépannage. La startup française Cajoon, qui propose sur son application quelques centaines de références allant du biscuit apéritif au plat à réchauffer livrés en quinze minutes, vient de lever 6 millions d’euros pour déployer ses activités sur le créneau « course à la demande ».

Et la bataille du dernier kilomètre n’est pas près de s’achever : le World Economic Forum estime que d’ici 2030, le nombre de véhicules de livraison serait en croissance de 36% dans les 100 premières villes du monde, avec une demande en hausse de 78% pour la livraison du dernier kilomètre. Plus que jamais, le sujet consistera alors à réconcilier efficacité, sûreté et responsabilité écologique.

Le circulaire rentre dans la danse

Enjeu majeur de la transition, la durabilité s’impose aussi comme opportunité d’affaires pour les distributeurs. 67% des Français prévoient d'acheter de seconde main cette année. L’essor du marché de l’occasion auprès des consommateurs, à la fois porté par des motivations responsables et la contrainte budgétaire des foyers, en est une preuve réelle : en 2020, il a drainé une activité de 7,4 milliards d’euros (hors automobile), dont plus de la moitié en ligne, selon Xerfi. Et la tendance va s’accentuer, dans un mouvement vertueux dû à la croissance de la demande et au développement de l’offre.

Aux côtés des pure players comme Le Bon Coin ou Vinted, (désormais quatrième site d’e-commerce le plus visité de France), les acteurs de la grande distribution s’engagent dans ce marché, espérant y trouver de nouveaux leviers de croissance, notamment pour le modèle hypermarché en perte de vitesse : des généralistes comme Leclerc, Casino, Carrefour, Auchan ou Système U, mais aussi des spécialisées comme Kiabi ou Gemo pour l’habillement, Darty et Boulanger pour l’électroménager, ou La Redoute avec La Reboucle.

La réinvention de la distribution ne fait que commencer.


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