Si le Coronavirus a sévèrement touché les assurances, ce n'est pas seulement en termes de sinistres : pendant la crise, côté image aussi, la profession a été éreintée. Tandis que les banques redoraient leur blason en contribuant au maintien à flot de l’économie avec la mise en œuvre des dispositifs d’État, les assureurs étaient de leur côté pointés du doigt pour manque de solidarité nationale – notamment auprès des entreprises frappées de plein fouet. Pour 93% d’entre elles, leurs garanties ne couvraient pas l’exposition au risque pandémique, d’après le calcul de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution, le régulateur du secteur.
L’assurance, levier majeur de l’économie
Les conséquences du confinement, la crise économique qui se profile et la nécessité à refonder nos sociétés – en se saisissant des grands enjeux de l’époque, notamment climatiques – positionnent pourtant l’assurance comme acteur-clé sur cet échiquier complexe. En 2019, les actifs en gestion du secteur ont atteint 2.600 milliards d'euros – plus d'une année de PIB français, dont 60% servent à financer les entreprises. Autant dire que l’assurance est un levier primordial pour la relance économique et sociale du pays.
Déjà confrontés à des mutations et ruptures de tous ordres – évolutions de société, révolution numérique, risques émergents – les assureurs doivent cependant tirer les leçons de cette période, et repenser leur modèle à la faveur de la crise. La gestion du risque doit-elle se transformer à l’aune des défis du siècle ? Le principe de mutualisation du risque fait-il encore sens à l’heure de l’hyperpersonnalisation et des menaces systémiques ?
Et le numérique, dans tout ça ? Comment bouleverse-t-il le métier d’assureur ? Le secteur peut-il être « disrupté » par d’autres acteurs, comme les plateformes américaines ou asiatiques ? Devrons-nous dans un futur proche nous résoudre à être bardés de capteurs et suivis à la trace pour avoir accès à l’assurance ?

Des assurés fidèles mais exigeants
L'assurance bénéficie pourtant d’un capital confiance intéressant. En octobre dernier (le monde d’avant ! ), le cabinet Deloitte publiait un baromètre mesurant la qualité des relations entre les Français et leur assureur (sur le périmètre habitation, auto, prévoyance et emprunteur). D’après cette enquête, 78% des Français déclaraient faire confiance à leur assureur principal – qu’il soit traditionnel, mutualiste ou bancassureur. Pour reprendre la comparaison avec la banque, cette dernière suscitait alors la confiance de 65% des Français : avec 13 points, l’écart est conséquent.
Les Français sont aussi des assurés fidèles : plus de la moitié d’entre eux détiennent contrats auto et habitation chez leur assureur depuis plus de dix ans. Et seulement 11% envisageaient alors de résilier un de leurs contrats dans les six mois.
Comme le souligne La Tribune, ces chiffres sont à mettre en perspective avec les spécificités du métier d’assureur. Là où la relation avec un conseiller bancaire est plus quotidienne (tenue de compte, octroi de prêts…), celle avec l’assureur, passée la souscription, ne se fait finalement qu’au moment du sinistre : en moyenne 5 ans pour l’habitation, et 8 ans pour l’automobile. Ainsi 68% des Français déclaraient alors n’avoir pas été contactés par leur assureur au cours des deux années passées, tandis que les deux tiers déclaraient se rendre seulement très ponctuellement en agence, voire jamais.
Dans ces conditions, quand le malheur advient, les Français attendent beaucoup de leurs assureurs. Quelles traces laissera alors la pandémie sur cette relation ?
L’assurance à l’épreuve du Covid
Selon Capgemini, dans son World InsurTech Report 2020 mené sur 26 marchés sur les segments vie, dommages et santé, même si 90% des entreprises ont pu poursuivre leurs opérations à distance, elles estiment que le Covid-19 aura un impact certain sur leurs clients : ainsi en juillet, 61% des assureurs – contre 57% en avril – sont convaincus que le Covid-19 a eu un impact sur l’acquisition de nouveaux clients, et 42% d’entre eux – contre 29% en avril – sur la fidélisation des clients. Les crises sont souvent propices à une revue critique des contrats, notamment lorsque les exclusions se font jour.
Les crises sont souvent propices à une revue critique des contrats, notamment lorsque les exclusions se font jour.

En termes de business, le Coronavirus pourrait coûter plus de 200 milliards de dollars aux assureurs en 2020, selon Lloyd’s of London. 107 milliards de dollars concernent l’indemnisation en assurances-dommages, annulations de voyages ou d’évènements par exemple. Les pertes sur les portefeuilles d’investissements se chiffreraient à 96 milliards de dollars. Pour EY, l’impact du Covid-19 sur les assurances serait de l’ordre de deux « 11-septembre ».
Derrière les polémiques, l’hétérogénéité d’un secteur
Les assureurs ont-ils été mal compris ? La Fédération française de l’assurance (FFA), la principale organisation de la profession, n’a eu de cesse de souligner les 3,8 milliards d’euros d’effort global consentis par le secteur.
Les mesures extracontractuelles et solidaires à destination des entreprises et publics les plus exposées se chiffrent à 2,3 milliards d’euros, dont 400 millions d’euros de contribution au fonds de solidarité mis en place par les pouvoirs publics. Pour soutenir la relance économique du pays, les assureurs ont aussi décidé de mettre en place un programme d’investissement global d’au moins 1,5 milliards d’euros, « majoritairement en fonds propres, en particulier en faveur des ETI, ME et du secteur de la santé ».
La séquence met à jour la difficulté à parler d'une seule voix pour un secteur finalement hétérogène, entre assureurs traditionnels, mutualistes ou bancassureurs.
Des sommes conséquentes qui ont toutefois pâti d’annonces successives, désunies, donnant parfois l’impression d’être faites sous la pression de l’exécutif. Le cas des pertes d’exploitations des entreprises, qui a cristallisé le ressentiment, est suivi de près par la profession et les observateurs du marché : plusieurs actions sont en cours, et la justice a déjà rendu certaines décisions, comme par exemple le tribunal de commerce de Paris qui a donné raison à cinq restaurateurs face à Axa.

La séquence demeurera cependant douloureuse. Elle met aussi à jour la difficulté à parler d’une seule voix pour un secteur finalement très hétérogène, entre assureurs traditionnels, assureurs mutualistes ou bancassureurs, la variété des segments couverts, des dommages à l’épargne, et des public, qu’ils soient particuliers ou professionnels. Enfin, la forte culture technique du métier peut s’avérer abrasive en temps de crise.
Être au rendez-vous des défis de l’époque
Un des principes fondateurs de l’assurance – comme celui de la protection sociale – est la mutualisation du risque : si les sinistrés peuvent être indemnisés, c’est bien grâce aux primes de ceux qui ne le sont pas.
C’est d’ailleurs le problème posé par les pandémie, les révolutions ou les guerres, comme le rappelait la FFA dans une tribune parue en réaction aux critiques : tout le monde est touché en même temps. De leur côté, certains réassureurs ont déjà pris l’initiative d’exclure spécifiquement la pandémie de leurs garanties, ce qui ne facilite pas la situation.
Les pertes d’exploitation liées au Coronavirus étaient déjà estimées à plus de 60 milliards d’euros avant l’été… tandis que les nouvelles mesures de restriction, annoncées la semaine dernière sur les établissements recevant du public en zones d’alerte maximale ou renforcée, risquent d’alourdir encore ce bilan.
Vers un régime catastrophes exceptionnelles ?
Alors à quoi pourrait ressembler une assurance pandémie ? A la demande du ministère de l’Économie et des Finances en avril, un groupe de travail constitué des différentes parties prenantes a travaillé ce que pourrait être un nouveau régime, capable d’absorber ces chocs exceptionnels.
En juin, la FFA a ainsi rendu une copie dessinant les contours d’un futur régime Catex (catastrophes exceptionnelles) sur la base d’un partenariat public-privé. Celui-ci couvrirait aussi les attentats, émeutes et catastrophes naturelles, et se limiterait aux entreprises de moins de 250 salariés. Les assureurs et réassureurs y contribueraient à hauteur de deux milliards d’euros, estimant qu’au-delà, c’est à l’État de prendre le relais, via la CCR, son réassureur public. Les entreprises ont également pu s’exprimer sur le sujet via une consultation publique ouverte par le Trésor, pour ensuite permettre au gouvernement de « dresser les contours d’un mécanisme de couverture » dans les prochaines semaines.
L’écoute des signaux faibles
L’assurance, c’est l’accompagnement et la réparation du sinistre, mais aussi la prévention des risques existants, et l’écoute des signaux faibles et des risques dits émergents. Le risque, pour un assureur, est à la fois une opportunité (de développement de nouveaux produits), mais aussi s’il est mal maîtrisé, une menace pour l'activité. Or le nouveau risque se caractérise justement par son incertitude, parce qu’on manque par définition d’historique pour les calculer et les qualifier, mais aussi parce qu’il peut subir des discontinuités au fil des changements, scientifiques, technologiques, sociopolitiques ou de régulations.
Le risque nouveau se caractérise par son incertitude : manque d’historique mais aussi discontinuités possibles au fil des changements, scientifiques, technologiques, sociopolitiques ou de régulations.
Selon la cartographie des risques émergents publiée par la FFA en février 2020, ceux-ci peuvent se distribuer en six classes principales : économiques, environnementaux, sociétaux, technologiques, politiques et règlementaires – ce qui n’empêche évidemment pas leur interconnexion, comme vient de nous le prouver cruellement la pandémie.

La nécessité de se transformer
Comme dans de nombreux secteurs, l’assurance n’échappera à l’effet accélérateur du Covid sur des tendances déjà à l’œuvre, notamment celle concernant la transformation numérique. Celles-ci touchent tant que l’offre – avec l’appétit aiguisé de nouveaux entrants, InsurTech ou Big Tech – que la demande, dont les attentes clients ne cessent d’être revues à la hausse.
Le comportement des consommateurs évolue et pour eux, l’expérience client est désormais prévalente : l’instantanéité et la fluidité que peuvent offrir le digital ne sont plus des options. Comme le souligne Adrien Couret, Directeur Général de la Macif dans une interview à paraître sur Et Demain notre ADN, les us et coutumes en cours sur Netflix ou Amazon se propagent désormais à tous les secteurs.
Mais, outre leur capacité à donner le la en matière d’usages à l'échelle du globe, les géants de la Tech s’intéressent de près aux marchés de la finance, de la santé et logiquement de l’assurance. En aout dernier, Verily Life, discrète filiale santé d’Alphabet (maison-mère de Google), annonçait la création de Coefficient. Cette entreprise proposera des couvertures santé à destination des entreprises. On citera également Amazon qui s’était associé à JP Morgan et Berkshire Hathamway en 2018, sur ce même créneau.
Métier de données s’il en est, l’assurance est concernée au premier chef par l’essor de l’intelligence artificielle.
Du côté des nouvelles technologies, certaines sont à même de changer drastiquement le visage du secteur. Métier de données s’il en est, l’assurance est concernée au premier chef par l’essor de l’intelligence artificielle, rendu possible par la disponibilité massive de la data. Selon Deloitte, les applications de l’IA se trouveront notamment dans la transformation de l’expérience client, l’excellence opérationnelle, le développement de nouveaux services à valeur ajoutée et bien sûr, l’approche au risque.
Pour Capgemini, la crise que nous venons de vivre doit finalement inciter les assureurs à se concentrer sur cinq priorités critiques : la réponse en temps réel, des processus « crisis-proof », un soin particulier apporté à la dimension humaine, fondée sur l’empathie et la connexion émotionnelle, une expérience client de premier ordre.
Rôle sociétal et usage éclairé des données
Après le choc du Covid, et les tensions nées de la crise, les assurances pourront-elles renouer le lien avec leurs clients ? L’une des pistes pour cela consistera à accentuer le rôle social de l’assureur, accompagner le développement de la « société du care » et aider à la transition de nos économies. Les modèles mutualistes, dont la gouvernance se fonde sur la représentativité de leurs sociétaires, sont à ce titre bien placés sur la question.

L’autre levier de singularité consistera sans doute en un usage éclairé des données. Même si les early-adopters pourront toujours être séduits par la capacité des géants de la Tech à délivrer des expériences digitales de grande qualité, la sensibilité des individus quant à l’usage de leurs données personnelles est de plus en plus élevée. Sans parler de la mise en danger du principe même de mutualisation du risque, face à l’hyper-personnalisation rendue possible par les trackers en tous genres.
Les assureurs pourraient-ils alors résister à la disruption en se faisant rempart au techno-capitalisme ? Dans ce contexte incertain, le pari sur le long-terme, la recherche de l’impact positif – économique, environnemental, social – et la capacité d’empathie portée à chacun semblent finalement être le chemin du moindre risque et de la confiance retrouvée.
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A suivre : L'Emission Et Demain Notre ADN, avec notre invité Adrien Couret, Directeur Général de la MACIF >>