Une insigne lumineuse en forme d'étoile filante

« Nous avons besoin à la fois de sobriété et d'innovation »

Un dossier parrainé par Engie
© Veit Hammer

Claire Waysand est directrice générale adjointe du groupe ENGIE. Et Demain Notre ADN l'a interviewée sur les enjeux de l'énergie, plus prégnants que jamais, au moment où la situation géopolitique pèse sur les budgets et vient compliquer la transition écologique.

La question de la souveraineté énergétique est au cœur des débats avec le contexte géopolitique actuel. En quoi consiste cette souveraineté pour un acteur comme ENGIE ?

Claire Waysand : Face à cette crise notre premier défi a été d’abord de garantir notre capacité d’approvisionnement en énergie. Pour y parvenir, il est essentiel de développer une stratégie de diversification solide afin d'éviter toute dépendance excessive à un fournisseur. C'est par exemple le cas dans nos stratégies d’approvisionnement en gaz pour la France. Nous veillons à la diversité de nos fournisseurs pour éviter une situation de dépendance excessive. Cette stratégie était engagée bien avant le début de la guerre en Ukraine qui n’a fait que conforter ce mouvement.

Pour revenir à la question de la souveraineté, je ne crois pas en une autonomie totale mais en un équilibre qui évite toute dépendance excessive. Pour rappel, sur le dernier trimestre de l’année la France a été importatrice nette d’électricité, alors qu’elle était exportatrice sur la même période un an plus tôt.

Être plus économe en énergie est un levier essentiel pour augmenter la souveraineté nationale.

Qu’est-ce que cela veut dire pour l’avenir ? Comment minimise-t-on cette dépendance extérieure ?

CW : Pour minimiser cette dépendance nous devons développer deux piliers en lien avec les enjeux de transition énergétique.

Le premier pilier est celui de la sobriété et de l'efficacité énergétique, qui fait appel en partie à une baisse de notre consommation en énergies. La sobriété est un prérequis à la réussite de cette transition que l'on retrouve dans des scénarios comme ceux de RTE ou de l'Ademe. Ces scénarios prévoient en effet une baisse nécessaire de la consommation énergétique de 30 à 40% à horizon 2050. Être plus économe en énergie est un levier essentiel pour augmenter la souveraineté nationale.

Le deuxième pilier repose sur notre capacité à développer des énergies renouvelables. Ces dernières nous permettront d'accroître notre autonomie énergétique en réduisant notre dépendance aux énergies fossiles (que nous ne produisons plus sur notre territoire). Ces nouvelles énergies vertes permettront de réduire notre part d'importation sans pour autant les arrêter complètement. Le biométhane qui est produit dans les territoires à partir des déchets agricoles, est un exemple parfait d'un gaz entièrement produit sans importation.

En parlant d'énergies vertes, la France a-t-elle un territoire favorable à leur développement ?

Usine de biogaz © Olrat via Getty Images

CW : La France est un territoire propice du point de vue de l'énergie éolienne et du photovoltaïque. Elle possède également une très grande façade maritime favorable au développement de l'éolien en mer. Le Président de la République a d'ailleurs fixé l'objectif de 40 gigawatts à l'horizon 2050 par ce biais, soit une part très substantielle du mix énergétique. A titre de comparaison, la puissance installée dégagée par les centrales nucléaires est de l'ordre de 60 gigawatts. Selon cette feuille de route, la puissance éolienne pourrait donc représenter un rapport de l'ordre des 2⁄3 de la puissance nucléaire nationale installée.

Nous pouvons également nous appuyer sur un cadre favorable pour le développement du biométhane. La France possède une biomasse abondante qu’elle a su conjuguer aux usages agricoles nécessaires à l’alimentation des populations. Ce n’est pas le cas partout dans le monde. Certains pays dédient des terres agricoles au développement du biométhane au détriment de la production alimentaire. Une pratique interdite en France.

Tout l'enjeu est de concevoir un mix énergétique suffisamment diversifié et flexible en anticipant l’évolution des innovations et des prix.

Comment faire en sorte que cette transition soit « juste » et intègre l'ensemble des organisations et des citoyens ?

CW : Nous avons une conviction forte : la transition énergétique ne sera réussie que si elle s’accompagne d’une transition humaine et sociale et si elle est menée dans un esprit de concertation.

Cela suppose en premier lieu que l’énergie soit disponible à un prix accessible à tous, afin d’éviter les phénomènes d’exclusion car l’énergie est au cœur des processus de production et de consommation. On ne peut pas s’en passer.

Cela peut sembler être une évidence mais pour y parvenir il faut faire les bons choix stratégiques. Si au début des années 2000 vous cherchiez le mix énergétique le plus abordable vous aviez très certainement des réponses très différentes de celles d’aujourd’hui. En effet, en seulement 10 ans le prix du photovoltaïque a été divisé par 10 et celui de l’éolien a baissé de 70% en grande partie grâce aux innovations. Dans le même temps, le coût du nucléaire a eu tendance à augmenter, conséquence directe des impératifs de sécurité renforcés dans nos centrales nucléaires. Tout l'enjeu est de concevoir un mix énergétique suffisamment diversifié et flexible en anticipant l’évolution des innovations et des prix.

Par ailleurs, bien qu'il y ait un consensus général autour de la décarbonation pour réduire les impacts du réchauffement climatique, nous avons encore un manque de consensus sur la part de telle ou telle énergie dans le mix. C'est par exemple le cas avec l’éolien terrestre qui est un facteur clé de réussite de cette transition. Une seule éolienne terrestre produit l'énergie équivalente à 10 000 panneaux solaires, avec une emprise au sol beaucoup moins importante et une complémentarité intéressante avec le photovoltaïque. Mais pour cela, il faut que les riverains soient convaincus du bien-fondé de l’installation de ces éoliennes et de ces panneaux photovoltaïques. On a de très beaux exemples de ce mix parfaitement intégré aux territoires.

La bonne appropriation suppose donc une forme de co-construction respectueuse de la décision locale, de l’environnement et de la biodiversité. Ce que nous faisons avec ENGIE en tant que premier producteur d’éolienne et d’énergie solaire en France, avec une labellisation de nos pratiques par un tiers externe : le Bureau Veritas.

© Wirestock

On dit souvent qu’avec les crises naissent des opportunités, ou du moins des accélérations dans la transformation de nos modèles. ENGIE partage-t-il ce sentiment ?

CW : Cette crise démontre en effet la nécessité d’accélérer le déploiement des énergies renouvelables pour gagner en autonomie comme je l'expliquais précédemment. Elle révèle également une plus grande tension sur nos capacités de production électrique avec un déséquilibre entre l’offre et la demande lié à un facteur, en partie conjoncturel, que l'on espère voir disparaître rapidement.

En attendant, nous avons deux leviers d’actions possibles. Le premier serait d'agir sur la demande en augmentant l'efficacité énergétique et encourageant la sobriété. Le second serait d'augmenter l'offre. Compte tenu des délais de mise en service des centrales nucléaires, les EPR qui sont décidés aujourd’hui, ne seront pas opérant avant 2035 (voir 2037). Au cours des 15 prochaines années, les seules capacités électriques nouvelles devraient donc être des capacités électriques renouvelables.

Nous mettons l’essentiel de nos investissements de croissance dans 2 types d'activité : les solutions de décarbonation et les énergies renouvelables. Nous sommes actuellement à 34 gigawatt d’énergies renouvelables installés dans le monde. Notre objectif est d’en avoir 50 à horizon 2025, et 80 à horizon 2030.

On tend à opposer les scénarios de sobriété / décroissance et d’innovation. Quel regard portez-vous sur cette tension ?

CW : La sobriété est essentielle mais verdir l’énergie passe forcément par l’innovation. Il faut donc opérer sur ces deux leviers, car la baisse des coûts des énergies renouvelables sont directement liés à l’innovation technologique et technique.

© Zoltan Tasi

Nous savons par exemple que pour que l’hydrogène renouvelable soit compétitif il a besoin de deux choses : la baisse des coûts de production d’électricité renouvelable et la baisse des coûts des électrolyses. Deux facteurs qui feront appel à l'innovation.

Pour atteindre la meilleure efficacité énergétique, la capacité à mesurer et optimiser est clé. Et là encore l'innovation par l'Internet des objets, les jumeaux numériques… vont être des accélérateurs fondamentaux.

Donc oui, ce n'est pas un scénario ou l'autre, nous avons besoin à la fois de sobriété et d'innovation.