panneaux solaires

« Pour l'énergie, la sobriété est la clé de l'avenir »

Un dossier parrainé par Engie
© Red Zeppelin

Risque de pénurie de gaz, hausse des prix, nouveaux fournisseurs… Jusqu'à quel point la guerre en Ukraine redéfinit-elle les politiques énergétiques en France et en Europe ?

Fondateur du site 2000Watts.org et Smart Water - Innovation Manager chez BlueArk en Suisse, Laurent Horvath étudie depuis plus de quinze ans l'impact des énergies fossiles et renouvelables sur les économies au niveau mondial. Pour ce géo-économiste de l'énergie, la guerre déclenchée par la Russie met en avant le rôle central que les hydrocarbures continuent à jouer pour stabiliser les pays et réguler leurs relations au niveau international.

Quel est l'impact de l'invasion de l'Ukraine sur le marché de l'énergie ? Qu'est-ce que ce conflit a changé ?

Laurent Horvath : Pour répondre à votre première question, il faudrait plutôt se demander ce qui n'a pas changé. Avant la guerre, la consommation de pétrole atteignait une limite. À cause du manque d'investissements, les extractions arrivaient au bout de leurs capacités. Le prix du baril était à plus de 90 dollars. La guerre a accéléré le processus de hausse des prix et de manque de ressources disponibles sur les marchés. C'est la même chose pour le gaz. La crise avait débuté avant la guerre, et aujourd'hui il y a une surréaction de l'Europe et des États-Unis, qui font le maximum pour se passer de l'énergie gazière russe. Cela vient d'une vision stratégique des Américains pour mettre à mal la Russie, et par ricochet la Chine.

Comment expliquer qu'on en soit arrivé si rapidement à cette situation ?

L.H. : Pour comprendre ce qui s'est passé, il faut remonter à l'ère Obama. À partir de 2009, il y a eu une montée en puissance du gaz et du pétrole de schiste aux États-Unis. Obama avait annoncé la puissance et l'abondance énergétique américaine. Quand Trump est arrivé au pouvoir, il est allé encore plus loin en déclarant la suprématie énergétique des États-Unis sur le reste du monde. Avec les quantités que les Américains étaient capables d'extraire, ils pouvaient se passer du Moyen-Orient et des autres pays producteurs pour influencer les cours du marché et renforcer leur puissance au niveau mondial. L'administration Biden a continué sur cette lancée. Par contre, le jour où ce pétrole ne sera plus accessible, probablement en 2024 ou en 2025, ils vont devoir faire appel de nouveau à d'autres pays, notamment dans le Golfe, pour s'approvisionner.

À ce titre, la France se tourne actuellement vers d'autres fournisseurs…

L.H. : Certes, mais le problème, c'est que tous les pétroles ne se valent pas. Il y a différents niveaux de qualité. Celui qui vient de Russie est riche et permet de faire du gazole, ce qui n'est pas le cas avec celui qui est produit outre-Atlantique, car, pour arriver au même résultat, il doit être mélangé avec du pétrole lourd provenant du Venezuela. En outre, les raffineries européennes sont calibrées pour traiter le pétrole russe, ce qui fait qu'il est difficile de s'approvisionner dans des pays qui produisent des hydrocarbures légers. Cela va être très compliqué de changer.

Nous sommes aujourd'hui dans une logique de compensation, mais cette crise aurait pu permettre de prendre un autre chemin et d'accélérer vers les énergies renouvelables. Est-ce que c'est également ce qui est en train de se passer ?

L.H. : Effectivement. Cette crise va incontestablement permettre d'aller plus vite dans la transition vers un modèle de production et de consommation propre, décentralisé, circulaire et local. Par contre, il faut savoir que le pétrole est une énergie incroyablement riche, avec un rendement dont l'efficacité n'est surpassée que par le nucléaire. On ne retrouve pas ces capacités dans le solaire ou dans l'éolien. Il faudrait un nombre incalculable de panneaux photovoltaïques pour remplacer la quantité de pétrole qui est consommée, ce qui semble difficilement possible. Ce qui est plus probable, c'est qu'on va cesser de gaspiller. À terme, l'énergie sera mieux utilisée.

Est-ce que cela veut dire qu'on va continuer dans la même direction en conservant le pétrole ?

L.H. : Je pense que le réchauffement climatique n'est pas la priorité des gouvernements. Et le gouvernement français ne fait pas exception. Les grandes puissances, que ce soit l'Angleterre, la France, l'Allemagne, les États-Unis, la Chine, la Russie ou le Japon, ont ce statut parce qu’elles consomment beaucoup d'énergie. Pour ces pays, si cette consommation venait à baisser, cela entraînerait une chute du PIB, une augmentation du chômage, une baisse de la croissance, avec, en creux, le risque d'affaiblir leur position dans le monde. Aucune de ces grandes puissances n'entend sérieusement se passer des énergies fossiles, en tout cas pas du charbon, du gaz et du pétrole.

En définitive, la stratégie nationale bas carbone française, l’accord de Paris, les rapports du GIEC, n'influencent que très peu les politiques énergétiques ?

L.H. : Le fait de mettre des objectifs de neutralité à 2050 dédouane entièrement le personnel politique qui prend ces engagements. L'Inde compte atteindre le zéro carbone en 2060, mais s’ils ne prennent aucune mesure aujourd'hui, ce n'est pas grave puisqu'ils ont quarante ans devant eux pour faire le pas. C'est pareil en France, où pratiquement rien n'est fait. Malgré les rapports alarmants du GIEC, malgré les alertes incessantes de l'Agence internationale de l'énergie, il n'y a personne qui agit réellement. Désormais, l'Europe essaye de se séparer rapidement du gaz et du pétrole russe, mais elle n'a pas les installations pour le faire. Et il faut rappeler que les panneaux photovoltaïques sont majoritairement fabriqués en Chine, et que les Chinois sont en train de racheter l'industrie des éoliennes. Accélérer vers les énergies renouvelables, cela veut dire délaisser la Russie au profit de la Chine. Il n'est pas dit que ce soit un bon calcul.

En revanche, ce qui est certain, c'est que chaque pays va désormais devoir garantir sa souveraineté énergétique, assurer une production locale, et dépendre le moins possible de l'étranger. Ce sera le grand cheval de bataille des dix prochaines années. Et nous ne pourrons pas compter sur nos centrales pour y parvenir, car nous nous approvisionnons en uranium principalement au Kazakhstan et en Russie. La stratégie du nucléaire français repose en grande partie sur le bon vouloir de Vladimir Poutine.

Les logiques de souveraineté sont donc appelées à gagner en importance ?

L.H. : Assurément. Face à la désorganisation des chaînes mondialisées, il va devenir nécessaire de relocaliser la production de certaines ressources, et cela vaut bien évidemment pour l'énergie. C'est un mouvement qui a commencé au moment de la pandémie et qui est aujourd'hui amplifié par la guerre.

Pour autant, une solidarité inédite a pris forme entre les pays de l'Union. Est-ce que l'on se dirige vers une Europe de l'énergie ?

L.H. : L'Europe est une mosaïque de pays qui ont des intérêts totalement divergents, avec des sources d'approvisionnement et des niveaux de dépendance très différents. Cela semble difficile qu'ils puissent se mettre d'accord sur le temps long. L'énergie, ce sont des emplois, de la croissance, des gens qui n'ont pas froid l'hiver et qui peuvent se déplacer pour aller travailler… Ce sont des points critiques de la vie de tous les jours, ce qui fait que pour les gouvernements, les enjeux nationaux priment. C'est donc une solidarité de façade.

En revanche, ce type de rapprochement pourrait fonctionner entre le Canada et les États-Unis, car les liens entre les deux pays sont très étroits, avec des configurations similaires. Le Canada livre son pétrole aux États-Unis, où il est raffiné avant de faire le chemin inverse. En Europe, l'Allemagne s'appuie pour une bonne part sur le gaz, la France, sur le nucléaire, tandis que la Hongrie est dépendante du fioul russe. Chaque pays ayant son propre écosystème, la mise en œuvre de partenariats transnationaux est compliquée, même reste possible, comme ça a été le cas pour la France et l'Allemagne qui se sont mis d'accord sur des échanges de gaz pour rééquilibrer leurs stocks respectifs.

Comment la France peut-elle éviter le pire ?

L.H. : Nous assistons actuellement à une forte hausse des prix du pétrole. Il est fort probable que nous allons payer notre essence encore plus cher dans les mois et les années à venir. La seule solution pour ne pas s'écraser contre le mur est que chacun limite sa consommation. C'est d'ailleurs ce qui est en train de se passer. Le bouclier tarifaire ne permet pas de freiner l'inflation, il ne fait que protéger le consommateur pendant une durée limitée. Pour l'énergie, la sobriété est la clé de l'avenir.

Laurent Horvath
© Sedrik Nemeth