Le jeu vidéo est-il aujourd'hui un outil d'apprentissage à part entière ?
V.L. : Rappelons que c'est grâce au jeu que les jeunes enfants se construisent, et que tous les apprentissages en maternelle sont centrés autour de lui. Les jeux vidéo ont la capacité de regrouper un grand nombre de styles cognitifs, car tous les enfants n'apprennent pas de la même manière. Certains ont besoin de bouger dans l'espace, d'autres de faire appel à la vue, d'autres encore au toucher… Mais ce n'est pas une baguette magique, et ça ne marche pas à tous les coups.
Il y a aussi le fait d'apprendre à échouer et à recommencer ?
V.L. : Dans les jeux, il est possible de perdre et de recommencer autant de fois qu'on le souhaite. Le jeu incite à ne pas se décourager même quand le joueur a été très mauvais. Et quand il gagne, il reçoit une récompense. Je préfère employer les mots « essai » et « erreur », qui sont en corrélation avec la notion d'apprentissage.

Quelle est aujourd'hui la portée éducative des jeux vidéo ?
V.L. : Le jeu donne le droit de vivre une expérience différemment. L'immersion et l'interaction renforcent les apprentissages. Cela permet d'apprendre autrement que de manière linéaire, comme c'est le cas avec un livre ou un support passif. Grâce à la répétition des phases de jeux, l’information brute se transforme en connaissance. Certains jeux sont très bien faits, avec des scènes historiques reconstituées par des spécialistes, donc avec une dimension pédagogique renforcée, mais il faut que le joueur puisse rentrer dedans, pour que ça fonctionne. Il ne faut pas que ce soit contemplatif. Le principe même de l'apprentissage, c'est de donner envie. L'interactivité et la motivation, notamment lors des séquences pédagogiques, sont des éléments clés pour mieux apprendre. Il faut souligner cependant que les jeux permettent de renforcer les connaissances, mais ne peuvent pas se substituer aux programmes scolaires.
Des exemples ?
V.L. : Le jeu Soldat inconnu d'Ubisoft parle de la Première Guerre mondiale. Il contient des cartes postales de l'époque ainsi qu'un matériel pédagogique diversifié, avec des séquences incluant des QCM. Au fur et à mesure de l'avancée du jeu, les enfants peuvent, crayon à la main, cocher des cases, ce qui permet aux équipes pédagogiques de valider les acquis en même temps. Il faut qu'il y ait un transfert de compétences pour que ce qui est appris dans le jeu soit utile dans le réel.

Les jeux se penchent également de plus en plus sur les questions sociétales actuelles autour de l'inclusion, de la lutte contre les discriminations, de l'écologie….
V.L. : Les jeux sont le reflet de notre société. Plus nous serons dans une préoccupation écologique, plus il y aura des jeux qui correspondront à ça… Il y a certainement un enjeu éthique à vouloir mettre en avant ces valeurs positives. Mais il y a également un enjeu marketing, car les éditeurs n'ont pas envie de se faire taper sur les doigts s’ils n'abordent pas ces questions. Dans la conception des jeux, il y a actuellement une très forte convergence avec l'évolution à grande vitesse de nos sociétés sur les thématiques de la représentativité, de la diversité, du genre, du racisme, du féminisme, du handicap… Les éditeurs mettent un point d'honneur à ce que les personnes handicapées puissent jouer de la même manière et avec le même plaisir que les personnes valides. Il y a même aujourd'hui des compétitions de « handi-e-sport ». Les contrôleurs sont « designés » pour qu'il soit possible de jouer malgré le handicap. Les jeux sont de moins en moins excluants, ce qui marque une évolution.
Les jeux à impact vont-ils se multiplier ?
V.L. : Nous sommes collectivement en train d'évoluer sur beaucoup de sujets en ce moment. Ce serait une erreur de la part de l'industrie de ne pas se saisir davantage de ce phénomène, car notre monde change. Comme nos préoccupations évoluent, les jeux sont eux aussi obligés d'évoluer et pourraient même être les précurseurs des grandes transformations à venir.

Parcours de Vanessa Lalo :
Détentrice d'un master en psychopathologie de l'adulte obtenu à l'Université Paris VII, elle a été psychologue d'insertion pour aider les publics marginalisés, avant de devenir psychologue et consultante des usages numériques en 2010. On lui doit de nombreux articles et conférences sur les questions de l'addiction aux écrans et de la portée éducative des jeux vidéo.
À lire :
Vanessa Lalo, Les Promeneurs du Net : des postures professionnelles d'accompagnements en continuité éducative in Accompagner les ados à l'ère du numérique, Jocelyn Lachance, PUL, 2019
Vanessa Lalo, Démocratisation des jeux vidéo : nouveaux enjeux et nouvelles pratiques, Le Journal des psychologues, 2011
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