Kim-Carpenter

Au temps du coronavirus, la beauté des années 2020 accélère sa mue

Un dossier parrainé par L'Oréal France
© Kim Carpenter

D’abord, il y eut le confinement. Selon une étude Asteres commandée par la Fédération des entreprises des produits de beauté (Febea) et publiée début octobre, l’industrie française de la cosmétique, qui pèse 40 milliards d’euros, a perdu 10% d’activité au premier semestre 2020 – une baisse en ligne avec celle subie par la consommation globale des ménages sur la période.

Ruée sur l’hygiène

Cette contraction moyenne cache pourtant des réalités très diverses. Diversité des réalités, selon les segments produits, d’abord : parce que nous ne nous sommes jamais autant souciés de la propreté de nos mains, les produits de toilette et d’hygiène ont vu leurs ventes s’envoler de 50% au premier semestre, et même de 80% pendant le confinement.

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Dans le même temps, les produits de beauté subissaient un retrait massif de 25%, jusqu’à 50% au plus fort de la crise. Pour les cosmétiques, le choc est plus violent encore, avec une chute de 37% pendant le confinement. Le chiffre est supérieur à celui de la baisse de la consommation moyenne des Français, estimée à 32% au 7 mai, selon l’Insee.

« Pas de retour à la normale avant 2022 »

Sur l’ensemble de l’année, le chiffre d’affaires du secteur devrait contenir son retrait aux alentours de 5%, contre 7% pour la consommation globale des ménages. L’hygiène devrait terminer 2020 sur une croissance inédite de 30%. Pour les produits de beauté, le repli pourra atteindre les 17%. Pour un marché en croissance constante depuis dix ans, le choc est bien réel, notamment pour les TPE et PME qui constituent 85% du secteur. Selon Patrick O’Qquin, président de la Fédération interrogé par Le Monde, « le retour à la normale n’interviendra pas avant 2022 ».

Diversité des réalités, selon les circuits de distribution, ensuite : la fermeture des commerces non essentiels a heurté de plein fouet la distribution sélective, les instituts de beauté, et les salons de coiffure. Leurs performances sur 2020 devraient respectivement reculer de 25% et 23% selon les projections d’Asteres. À l’inverse, du côté des grandes surfaces et des parapharmacies, l’année se terminera sur une croissance de 2%, essentiellement portée par la ruée vers l’hygiène.

Accélération du e-commerce et beauté augmentée

Comme dans de nombreux secteurs, le e-commerce des cosmétiques a connu une accélération remarquable à la faveur de la période, avec un bond de 38% par rapport à l’année dernière, et de 90% pendant le confinement. Dans ses résultats du premier trimestre 2020, L’Oréal annonçait que la croissance du e-commerce avait atteint +52,6% et représentait désormais presque 20% de son chiffre d’affaires. Selon le baromètre Kantar Covid-19, 29% des Français déclarent avoir acheté des cosmétiques en ligne depuis la pandémie. Pour 8% d’entre eux, il s’agissait même d’une première.

Dans un univers caractérisé par l’expérience et le sensoriel, les nouvelles technologies sont un moyen d’abolir la distance… et pas seulement en ligne !

Face à cette digitalisation accélérée, les marques devraient poursuivre leurs efforts de transformation, avec notamment le développement de la dimension conseils et services. Dans un univers caractérisé par l’expérience et le sensoriel, les nouvelles technologies sont un moyen d’abolir la distance… et pas seulement en ligne ! Quand les conditions sanitaires imposent de nouvelles règles en magasin et sonnent le glas des testeurs, l’essai virtuel de maquillage ou de coloration cheveux, la détection intelligente de la carnation, le diagnostic de peau sur mesure prennent tout leur sens… ModiFace, spécialiste de la réalité augmentée et de l’intelligence artificielle appliquées à la beauté, en est un bon exemple. La beautytech a été rachetée en 2018 par L’Oréal.

©L'Oréal - Colour me

Le deuxième exportateur français après l’aéronautique

La mise à l’arrêt de nos économies globalisées a aussi lourdement pesé sur un secteur dont le savoir-faire et la capacité d’innovation sont unanimement reconnus à l’international : en 2019, la France détenait ainsi 23% du marché mondial de la beauté, exportant plus de 50% de sa production pour une valeur de près de 16 milliards d’euros, en hausse de 9% par rapport à 2018. La filière est ainsi le deuxième exportateur français (en volume et en solde) derrière l’aéronautique et cette seule activité export emploie, selon la Febea, 130 000 emplois sur le territoire.

Sous l’effet de la pandémie, les exportations ont fléchi de 14% au premier semestre, voire de 40% pendant le confinement. Un fléchissement notamment dû à la contraction de la demande, suite aux différentes mesures de restrictions mises en œuvre à l’échelle du globe, mais qui demeure toutefois inférieur aux 18% enregistrés par l’ensemble des exportations françaises. Deux raisons à cela : d’une part, l’essor conjoncturel du segment toilette et hygiène, mais aussi la résilience d’un secteur structurellement dynamique et relativement solide, malgré les difficultés rencontrées par les TPE et PME.

De la même façon, l’absence de tourisme international pourrait amputer de 20% les ventes attendues cette année dans notre pays. Quant au travel retail (distribution dans les aéroports) il est évidemment exsangue, avec 65 millions de passagers en moins dans les travées des aéroports français en 2020 selon l’IATA.

Tendance « No Make-up »

©Federico Meloni

Mais l’impact du confinement sur nos routines beauté n’est pas qu’une affaire d’hygiène exacerbée par temps de pandémie et de magasins aux rideaux baissés… La période marquera-t-elle une rupture dans nos rituels d’embellissement, alors même que la beauté contemporaine opérait déjà une mue profonde ?

Un mois après le déconfinement, une enquête Ifop a cherché à mesurer les effets de la période sur les habitudes de maquillage des Françaises. Elle révèle que le nombre de femmes se maquillant au quotidien est désormais deux fois moindre qu’en 2017 : 21% des femmes se fardent chaque jour, contre 42% il y a trois ans. Parmi les facteurs déterminants, améliorer la qualité de sa peau, apprécier son visage au naturel et faire attention à l’environnement. L'arbitrage économique en défaveur du maquillage – a priori logique en temps de crise – n'arrive que loin derrière.

Parmi les motivations qui concourent à l'essor du No Make-up, améliorer la qualité de sa peau, apprécier son visage au naturel et faire attention à l’environnement arrivent en tête.

Confinement et télétravail ont donc accéléré la tendance du « No Make-up » qui émergeait déjà visiblement, « notamment chez les jeunes générations, dans les populations féminines des grandes villes, et chez les femmes de niveau social et culturel supérieur à la moyenne » . Selon l’étude, la pression sociale du maquillage au bureau aurait aussi tendance à s’éroder : la moitié des femmes, et 60% des moins de 30 ans, déclarent pouvoir se rendre au travail sans passer par la case maquillage.

S’accepter tel.le.s que nous sommes, ne plus se conformer aux normes sociales, se maquiller seulement si on le souhaite, comme on le souhaite, quand on le souhaite… On ne pourra s’empêcher de faire le rapprochement avec les mouvements émancipateurs qui bousculent les codes de la beauté depuis quelques années : parmi eux, le body-positive, qui s’est épanoui sur les réseaux sociaux, ou la vision inclusive de la beauté, propulsée en 2017 par la gamme Fenty de Rihanna.

Lipstick en berne, mais pleins fards sur les yeux

Dans nos vies plus ou moins déconfinées (l’auteur de ces lignes s’entourant par cette formule de toutes les précautions d’usage concernant notre futur proche), un autre élément vient s’ajouter à l’équation : le masque. Depuis son irruption dans notre quotidien, plus d’une Française sur trois déclarent avoir eu des traces de maquillages sur leur masque, et plus d’une sur deux chez les moins de 25 ans. 44% des Françaises ont carrément arrêté de se maquiller les lèvres depuis que le port du masque est recommandé / imposé en France.

Un désamour du lipstick confirmé par les chiffres : selon NPD et Nielsen, les ventes du segment ont plongé de 33% depuis le début de l’année. Autres catégories de produits durablement touchées par la raréfaction des interactions sociales : les ventes de parfums et de déodorants sont en retrait, ainsi que celui des lames de rasoir.

©Shiny Diamond

Alors, en a-t-on fini de la couleur sur le visage ? Pas si sûr. Les ventes de mascaras ont bondi de 150% en avril et depuis le déconfinement, le maquillage du regard a réussi à retrouver ses niveaux de vente de 2019. Sur les réseaux sociaux, on s’échange les tutos pour tirer le meilleur de nos visages masqués : sur TikTok, le hashtag #maskmakeup cumule déjà plus de 55 millions de vues.

Approche « skinimaliste »

Mais malgré les apparences, le laisser-aller n’est pas de mise. Une fois l’urgence des achats de première nécessité passée, le soin a réussi à tirer son épingle du jeu : la catégorie a pesé pour 37% des achats beauté prestige en avril 2020, contre 29% des achats en ligne et 18% des achats totaux en sélectifs en avril 2018. Et les ventes en ligne de soins pour le corps ont enregistré une croissance de 225% sur la période, grâce aux crèmes, gommages, huiles et compléments alimentaires. Recréer à domicile gestes et rituels de l’institut ont permis d’apporter un peu de réconfort et bien-être à nos corps confinés.

Les routines se simplifient, privilégiant la qualité des ingrédients à la quantité de produits appliqués sur nos peaux fragilisées par le gel hydro alcoolique, ou sujettes à la mascné.

L’heure est cependant à la sobriété : fini le temps du layering à la coréenne avec ses interminables étapes de soin de la peau ! Le magazine Harper’s Bazaar l’annonçait dès janvier : « Nous adopterons une approche "skinimaliste" du soin » . Et le contexte de l’année 2020 ne vient finalement qu’en confirmer l’oracle : les routines se simplifient, privilégiant la qualité des ingrédients à la quantité de produits appliquée sur nos peaux fragilisées par trop de gel hydro alcoolique, ou sujettes à la mascné – cette éruption cutanée provoquée par le port prolongé du masque.

Après la Green Beauty, place à la Blue Beauty

Ces facteurs conjoncturels, issus de la pandémie, viennent toutefois encourager un mouvement bien plus profond, visant une beauté plus naturelle, moins transformée, libérée des injonctions et écoresponsable à tous points de vue. À l’image de ce qui se passe dans le domaine alimentaire, on recherche des produits naturels et bios, à la provenance identifiée et si possible locale, aux formulations épurées dont on scanne les codes-barres à coup de smartphones, aux emballages respectueux de l’environnement, recyclables ou réutilisables… Quand on ne vise pas le zéro-déchet, notamment avec le retour en grâce des cosmétiques solides qui conquièrent de nombreux segments, du shampooing au maquillage, en passant par le soin et le parfum.

©Artem Militonian

Près de 20% des consommateurs associent le secteur à la responsabilité sociale et environnementale. Ils étaient seulement 10% en 2016.

S’occuper de soi, s’occuper de la planète : l’un ne va plus sans l’autre, et l’approche du consommateur, de plus en plus informé, voire militant, se veut désormais holistique. Clean Beauty bien sûr, mais aussi Green Beauty et aujourd’hui Blue Beauty (toujours plus clean, éthique et responsable sur l’ensemble de la chaîne de valeur, notamment dans l’utilisation de l’eau et la préservation des océans), sont des concepts qui cristallisent les préoccupations des consommateurs, et dont les marques ne peuvent plus faire l’économie. D’après Kantar, près de 20% d'entre eux associent le secteur à la responsabilité sociale et environnementale. Ils étaient seulement 10% en 2016.

Petites ou grandes, les marques s'engagent

Comme le meilleur des principes actifs, la question pénètre profondément les modèles d’affaires des acteurs du secteur. Les fameuses indie brands, ces nouvelles marques indépendantes et alternatives qui cartonnent avec leur maîtrise aiguë des codes de l’époque, l’ont bien compris : souvent activistes, fortes de communautés très engagées, elles ont anticipé le shift sociétal actuel.

Du côté des grandes marques aussi, les initiatives se succèdent. Citons L’Oréal pour le Futur, deuxième plan de développement durable du groupe, qui s’engage sur des objectifs précis en matière de climat, d’eau, de biodiversité et des ressources naturelles à horizon 2030. Côté circuits courts et redynamisation de l’économie locale, Dior relocalise sa production de roses à Granville, non loin de la demeure où le grand couturier a grandi et développe les partenariats locaux pour les soins et les fragrances. Et quand la maison Hermès se lance dans les cosmétiques, elle le fait illico avec une proposition de rouges à lèvres rechargeables, composés d’ingrédients naturels.

La beauté qui va bien

La tendance était déjà là, elle est aujourd’hui exacerbée par la crise sanitaire : le rapport entre beauté et santé devient de plus en plus étroit. Illustration de ce phénomène, le microbiome cutané, qui suscite en ce moment autant d’intérêt que celui qui peuple nos intestins. 100 000 milliards de micro-organismes à la surface de notre peau, dont l’équilibre complexe garantit la bonne santé et l’immunité cutanée. La marque Gallinée s’est par exemple emparée de ce territoire. Et lorsque l’on sait que chacun d’entre nous possède un microbiome unique, on imagine les perspectives ouvertes en termes de personnalisation du soin, tendance lourde du secteur.

©L'Oréal - Stylenanda

Entre inclusion et santé, les marques s’intéressent désormais à des niches jusque-là délaissées, sans doute pour manque de sexiness. Mais les temps changent, et dans ce que le cabinet d'études CB Insights qualifie de « post-Fenty society » , un marché comme celui des boomers est identifié comme source de nouvelles opportunités. Le cancer ou la ménopause deviennent les nouveaux tabous à briser : Même propose sa gamme de cosmétiques spécialement formulées pour les femmes atteintes de cancer, les laboratoires Vichy lancent No Pause, un podcast consacré au sujet de la ménopause…

Réconcilier le corps, l'esprit et la planète

Dernier exemple : la place nouvelle prise par le bien-être psychique et émotionnel, au moment où nos sociétés ne peuvent plus taire l’impact de nos modes de vie sur la santé mentale des individus. Tandis que la comparaison incessante induite par les réseaux sociaux provoque bien des effets délétères (connaissez-vous le Compare and Despair syndrom ?), prendre soin de nous est aussi une façon éprouvée d'entretenir l'estime de soi.

À cette intersection, l'industrie de la beauté peut naturellement faire sa part : Selena Gomez, qui vient récemment de lancer sa marque Rare Beauty, l'accompagne ainsi d'une fondation destinée à combattre les effets de la solitude sur la santé mentale. Parfois même, on cherche des réponses du côté supra-sensible ou spirituel : rolls en pierres précieuses et huiles à base de CBD pour Herbivore, crèmes de luxe à base de pierres précieuses chez Själ, formules qui changent au fil des saisons chez Flow ou Seasonly

En 2020, la beauté vivrait-elle alors son nouvel âge ? Il semble d'ores et déjà certain que cette année de pandémie ne fera que renforcer nos aspirations contemporaines : oublier les standards de beauté monolithiques et accepter nos « parfaites imperfections », transcender les genres, les âges, les ethnies pour accueillir la diversité de chacun, faire des technologies un usage éclairé et enfin, réconcilier le corps, l'esprit et la planète.


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