La beauté ne craint pas le paradoxe : elle aime les rites anciens, mais aussi les promesses offertes par les technologies. Un mois avant Vivatech, voyage au cœur de la beauté du futur avec Hervé Navellou, directeur général de L'Oréal France.
Que recouvre la Beauty Tech ? Sur quelles briques se fonde-t-elle ?
Hervé Navellou : L’Oréal est né en 1909, avec l’innovation et la création comme socle fondateur. Depuis plus de 110 ans, nous « saisissons ce qui commence », comme dit l’adage chez nous.
La Beauty Tech chez L’Oréal porte une ambition que je résume ainsi : augmenter la science traditionnelle, par des technologies de pointe et à grande échelle, afin d’inventer des façons de produire plus vertueuses et d’offrir des expériences de beauté inégalées.
Pour répondre à votre question, je pense à trois grands jalons de notre transformation digitale. D’abord, 2010, que Jean-Paul Agon, alors PDG du Groupe, avait déclaré « année du digital ». En donnant ce cap, il a envoyé un signal fort à l’ensemble des collaborateurs. Cela nous a permis d’intégrer le digital dans toutes les strates de l’entreprise et de prendre ce virage avec anticipation, passion et sérénité. Toutes les équipes ont été formées et ont commencé à penser "digital" à tous les maillons de la chaîne de production, de l’ingrédient au produit fini.
Ensuite, en 2018, nous avons acquis Modiface, une société mondialement reconnue dans la réalité augmentée et l’intelligence artificielle appliquées à la beauté. Avec cette opération, nous avons donné une dimension nouvelle à notre engagement dans le digital et affiché nos ambitions.
En 2022, le Groupe a également annoncé de grands partenariats stratégiques autour de la data avec des entreprises technologiques. Par exemple, avec Verily, la Health Tech d’Alphabet pour faire avancer la santé cutanée de précision ; et avec Breezometer, une Exposome Tech qui analyse l’impact du climat, des UV et de la pollution.
La Beauty tech est multi-facettes, multi-compétences, multi-expertises : elle concerne toute la chaîne de valeur, d’approvisionnement et de production de notre secteur, bien en amont de l’expérience client, par exemple, via l’optimisation des prévisions de ventes, l’assurance de la disponibilité des produits, l’optimisation des stocks, l’identification plus rapide des changements de tendances, etc.
Personnalisation, durabilité, transparence... Sur ces trois points, la technologie ouvre de nouveaux horizons.
Quelles sont les promesses de la Beauty Tech pour les consommateurs ?
H.N. : Notre obsession a toujours été, et restera, l’écoute du consommateur, de ses envies et attentes. Les standards de qualité et de performance de nos produits et services visent l’excellence – et nous veillons à ne jamais faire de fausses promesses !
On le sait, le désir de beauté existe depuis que le monde est monde, et la beauté est essentielle, en tant que besoin personnel et social. C'est une aspiration universelle qui traverse le temps, les pays et les cultures. À ce besoin fondamental, s’ajoutent désormais trois tendances très fortes :
La demande de personnalisation s’accentue avec un désir de « sur-mesure », la demande de durabilité, de naturalité tout en préservant la performance de nos formules, la demande de transparence en ce qui concerne les produits en général, et les produits de beauté en particulier.
Sur ces trois points, la technologie ouvre de nouveaux horizons. Elle permet de produire à grande échelle et avec précision des produits uniques, qui répondent aux besoins, goûts et attentes de consommateurs aux profils très variés. Elle permet aussi de réduire considérablement l'impact environnemental de nos produits et services tout au long de leur cycle de vie. L’intelligence artificielle, le machine learning, les algorithmes, nous aident en cela. Enfin, la technologie permet la traçabilité et la transparence que les consommateurs demandent.
Ces consommateurs, nous les connaissons très bien. Et depuis plus d’une décennie maintenant, nous explorons cette rencontre entre beauté, digital et technologies. C’est pourquoi nous sommes particulièrement bien positionnés pour créer et proposer à chacun et chacune des expériences beauté durables et inégalées.
Quelles sont vos dernières innovations remarquables ?
H.N. : Nous travaillons à faire émerger les innovations à tous les étages de l’entreprise, ainsi que pour toutes nos parties prenantes.
Pour nos consommateurs d’abord, au-delà de Modiface souvent citée en exemple, l’innovation que je trouve la plus impressionnante est l’appareil connecté Rouge sur mesure de Saint Laurent Beauté. Six ans de recherche et 20 brevets tout de même ! Avec cet objet, chaque femme peut concevoir une infinité de teintes de rouge à lèvres à partir d’une teinte donnée, grâce à la réalité augmentée, de chez soi.
Pour nos partenaires coiffeurs également, un excellent exemple d’innovation qui combine à la fois durabilité et technologie est « L'Oréal Water Saver » : ce système de douche pour les salons de coiffure utilise la technologie des moteurs-fusées afin de créer des gouttelettes dix fois plus petites et les accélérer. Résultat, un rinçage plus rapide et efficace, et une réduction d’eau de 65% par rapport à un rinçage classique.
La France a été l’un des deux premiers pays du Groupe à lancer cette douchette dans une centaine de salons. Le déploiement mondial se poursuit en 2022.
Pour nos collaborateurs enfin : leurs métiers ne cessent de s’enrichir, que ce soit sur la Recherche ou les Opérations. Par exemple avec le développement de solutions technologiques, à l’instar de Dynamics 365 Remote Assist, qui permet d’effectuer des missions comme l’installation d’équipements industriels, la maintenance des lignes de production et des audits qualité, via un pilotage à distance. Ce partage de l’information en instantané contribue à l’évolution des savoir-faire. Il s’est révélé très utile dans un contexte de mesures sanitaires limitant les déplacements professionnels.
Grâce à notre partenariat avec Verily (Alphabet), nous pourrons bientôt obtenir une vue inégalée de la santé de la peau.
Dans ce domaine comme dans d’autres, il est utile d’allier forces et expertises avec d’autres acteurs. Nous collaborons avec des startups pour co-créer des expériences et des services de beauté inédits. Notre collaboration avec Verily en est une bonne illustration. Grâce à leurs capacités de recherche clinique, nous accélérons nos connaissances scientifiques centenaires. À la clé, nous pourrons obtenir une vue à 360° inégalée de la santé de la peau, et la possibilité de décoder pour la première fois les liens entre l'exposome, le vieillissement cutané et la biologie profonde de la peau.
Comment s’organise l’innovation chez L’Oréal ? Comment s’articule-t-elle avec la recherche et la culture scientifique de l’entreprise ?
H.N. : La beauté du futur émergera de ce rapprochement entre science et technologie. Ces deux immenses forces se catalysent mutuellement. Elles nous permettront d’atteindre trois objectifs clés :
Être toujours plus inclusif vis-à-vis des besoins et des désirs de beauté de tous les peuples du monde, dans leur infinie diversité – tel que formalisé dans notre raison d’être « Créer la beauté qui fait avancer le monde ».
Soutenir un large portefeuille de marques, de produits et de services toujours plus responsables et transparents – notre grande force en tant que pure player de la beauté.
Et enfin, nous transformer en une entreprise toujours plus agile, une entreprise qui cherche à libérer les collaborateurs des tâches à faible valeur ajoutée pour qu’ils explorent leur créativité sur d’autres missions. L’entreprise du futur, en quelque sorte.
Ce n’est pas un hasard si Barbara Lavernos, désormais numéro 2 de notre Groupe, pilote à la fois la Recherche Avancée et la Beauty Tech. L’un et l’autre sont intrinsèquement liés et s’enrichissent mutuellement.
Avec la Beauty Tech, nous voulons incarner l’entreprise du futur au service de la beauté du futur. Produits et services, mais aussi process internes, de la supply chain à la fabrication, en passant par la vie de l’entreprise… Les possibilités sont infinies. Tout est dans cette symétrie d'attentions à laquelle nous sommes très attachés chez L’Oréal : nos consommateurs et nos équipes.
La Beauty Tech L’Oréal est issue de la collaboration de 4000 chercheurs dans le monde et 1900 spécialistes de la tech.
Comment éviter l’écueil de la technologie gadget ?
H.N. : La technologie nous aide – et pas uniquement L’Oréal – à trouver des solutions durables, c’est incontestable. Cela dit, comme toute entreprise innovante, nous testons et nous apprenons en continu. Parfois cela marche bien, et parfois moins, voire pas du tout... Il nous est arrivé d’abandonner des lancements à la suite de tests opérationnels infructueux ou de retours consommateurs non concluants. C’est la vie des entreprises !
Nous nous situons à l’exact opposé du « gadget », tout simplement parce que chez L’Oréal, sciences et Beauty Tech sont interconnectées. Et la science, par définition, mesure et analyse les impacts. Le « gadget » n’a pas droit de cité parmi nos équipes de chercheurs qui bâtissent l’efficacité de nos process et de nos produits. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : la Beauty Tech L’Oréal est la résultante de la collaboration de 4000 chercheurs dans le monde et 1900 spécialistes de la tech.
Au-delà des récentes innovations dont j’ai parlé plus haut, nous avons développé des applis comme Skin Consult avec la marque Vichy, qui propose des recommandations de soin sur la base d’un diagnostic de peau grâce à l’intelligence artificielle. Le Teint Particulier de Lancôme offre un fond de teint sur mesure grâce à une machine.
Notez d’ailleurs comme ces deux marques historiques, Vichy et Lancôme, présentes dans la vie des Français depuis des décennies, ont su prendre le virage de l’innovation tech et digitale tout en conservant leur ADN.
Quelles sont les tendances qui irrigueront l’univers de la beauté dans les prochaines années ?
H.N. : Les tendances actuelles vont s’amplifier avec notamment la volonté pour les consommateurs de plus de proximité et de transparence.
Ensuite, l’envie d’une beauté durable, respectueuse de la santé et de la planète s’ancre définitivement. Il n’y a plus de retour en arrière possible. Et enfin, l’envie d’une beauté personnalisée, qui donne confiance, en nous et notre relation avec les autres. Qui nous aide à exprimer qui nous sommes.
Parce qu’elle apporte des réponses à chacune de ces attentes, en plus de repousser les limites de la science, la Beauty Tech est une véritable révolution. Et c’est aussi une aventure qui me passionne… Si les lecteurs et lectrices de L’ADN veulent avoir un aperçu de notre ambition, qu’ils n’hésitent pas à passer nous voir lors du salon Vivatech où nous serons présents en juin prochain !
