Spoiler : l’année 2020, placée sous le signe d'un nouveau coronavirus apparu dans la province de Hubei en Chine, aura profondément transformé nos temps libres. Privé·es de sorties, distancié·es socialement, nous avons dû revisiter de fond en comble nos routines loisirs. Et dans cette configuration inédite, divertissement et technologies ont formé un combo gagnant à bien des titres – dont celui de nous aider à préserver un minimum de salubrité mentale en ces heures troublées. C’est en tout cas ce que déclaraient 77% des personnes interrogées en avril dernier, selon une étude Vivendi Brand Marketing menée dans neuf pays.
Année historique pour le streaming vidéo
Sans surprise, le streaming vidéo a raflé la mise et compte 289 millions de nouveaux utilisateurs dans le monde, selon eMarketer, soit une croissance de 24% par rapport à 2019. En France, une étude menée par Webedia en avril dernier donnait déjà des chiffres éloquents : 65% des répondants y déclaraient avoir surconsommé films, séries, documentaires et dessins animés en confinement. Et 80% d’entre eux l’ont fait via les services de SVOD (Subscription Video On Demand). Au total, un Français sur 4 a pris un abonnement de ce type pendant le confinement.
Et il semble que le pli soit pris : selon le dernier baromètre CNC de la vidéo à la demande paru en janvier, le marché a connu une croissance de 36% sur les onze premiers mois de 2020. Sur cette période, la vente à l’acte a progressé de 16%, tandis que l’abonnement bondissait de 45%. Celui-ci représente une part écrasante (82%) du marché. Plus de 5 millions de Français utilisent chaque jour un service de SVOD.
Concurrence accrue et budgets contraints

Leader incontesté du segment, Netflix comptait début 2020 167 millions d’abonnés dans le monde. Une pandémie plus tard, la firme co-dirigée par Reed Hastings et Ted Sarandos affleure la barre des 200 millions. Cette puissance de feu lui permet aujourd’hui d’amortir à l’international un catalogue bâti depuis plusieurs années avec sa politique volontariste de contenus originaux – un avantage compétitif, dans un business où la guerre des droits fait rage. Si l’on considère par exemple la catégorie des feuilletons et séries, celle-ci représenterait en France, selon NPA-Harris cité par Le Monde, 79% des programmes consommés en SVOD. Les récents succès globaux de Lupin ou du Jeu de la Dame en sont l'éclatante démonstration.
Même si la concurrence est encore loin derrière, la bataille promet de s’intensifier dans les mois à venir. En France, les groupes TF1, M6 et France Télévisions ont lancé l’initiative Salto. Dans ses résultats du troisième trimestre, Amazon indiquait que le nombre de membres Prime utilisant Prime Video avait augmenté de plus de 80 % par rapport à l'année dernière. Pré-pandémie, l’entreprise de Jeff Bezos revendiquait déjà 150 millions d’abonnés dans le monde à son offre de livraison gratuite, qui inclut ce service vidéo.
Le cas Mulan : la PVOD va-t-elle remplacer le cinéma ?
Quant au très attendu Disney +, le service a été opportunément lancé en avril 2020 en France et représentait plus de la moitié des nouveaux abonnements du confinement. La marque historique de l’entertainment, qui a réussi à convertir 60 millions d’abonnés à sa nouvelle plateforme mais souffre aussi de la fermeture des parcs d’attractions, réorganise même son business autour du streaming – au détriment du cinéma ?

Car l’exemple de Mulan pourrait ouvrir une nouvelle ère : repoussé à maintes reprises, le blockbuster de la firme aux grandes oreilles est finalement sorti directement sur Disney + sans même passer par les salles obscures. C’est peu ou prou le principe de la PVOD (Premium Video On Demand), qui permet aux abonnés des plateformes d’avoir accès à des films très récents, moyennant un ticket supplémentaire d’environ trente dollars. Soul, le nouvel opus des studios Pixar, a également suivi ce chemin. Chez Warner Bros, tous les films au programme de 2021 sortiront simultanément en salles et sur la plateforme HBO Max. Autre signe, l’institut Nielsen vient d’ailleurs d’annoncer la mise en place d’un outil destiné à la mesure de la PVOD.
Enfin, si vous n’êtes encore pas lassés de tous ces sigles, en voici un dernier qui pourrait être très 2021 : AVOD (Advertising Video On Demand). Eh oui : dans un contexte où les dépenses de loisirs vont certainement pâtir de budgets contraints par la crise, les plateformes vidéo financées (entièrement ou en partie) par la publicité pourraient bénéficier d’une configuration favorable. Aux États-Unis, NBCUniversal a ainsi lancé en juillet dernier son offre de streaming Peacock qui propose, parmi ses trois formules, une version gratuite avec coupures publicitaires.

Le streaming musical creuse son sillon
Côté musique aussi, le streaming figure bien sûr parmi les grands gagnants. Après un retrait initial au début du premier confinement, les plateformes musicales ont terminé l’année sur une forte hausse. Au troisième trimestre 2020, le leader suédois Spotify revendiquait ainsi 320 millions d’abonnés dans le monde, dont 144 millions sur son offre premium, soit une hausse respective de 29% et 27% par rapport à 2019.
La montée en puissance des plateformes a aussi remis sur le devant de la scène la question récurrente de la répartition de la valeur. En 2019, avant la pandémie, le streaming représentait 80% du chiffre d’affaires de la musique enregistrée aux États-Unis. Toutefois, selon Le Monde, « 90 % des artistes reçoivent moins de 1 000 euros par an, même si leurs titres sont streamés jusqu’à 100 000 fois. » Le sujet pourrait constituer l’un des plus vifs débats de l’année.
Le live-streaming recherche son modèle
Car la fermeture des salles de spectacle a mis à mal les revenus des artistes, qui tentent de trouver d’autres leviers de monétisation. Le live-streaming constitue l’un d’entre eux. Initié par One World, Together At Home, le concert de charité de Lady Gaga en avril, le registre se développe, avec plus ou moins de recours aux technologies. La légende de la nu-soul Erikah Badu développe très vite ses concerts de quarantaine sur sa propre plateforme, facturés entre un et trois dollars. Billie Eilish s’est produit en octobre dernier dans un show virtuel qui faisait la part belle aux effets de réalité étendue (XR), avec un billet à trente dollars. En France, la plateforme Inlive Stream explore ces nouveaux territoires, en proposant des concerts avec multicam, contenus backstage et interactifs.
Autre succès, inattendu celui-ci, « Ratatouille, The TikTok musical » a écoulé plus de 80 000 billets pour sa première virtuelle. Cette comédie musicale collaborative est aussi une démonstration éclatante de la puissance de TikTok, devenu le creuset des nouvelles stars en devenir et un relais incontournable pour l’industrie de la musique. L’app chouchou des Z a explosé pendant les confinements et compte désormais 700 millions d’utilisateurs actifs, séduisant désormais les adultes.
L'ère du crossover
2020 marquera enfin une étape-charnière dans l’art du crossover entre industries créatives. Les professionnels s’accordent à dire que le concert virtuel de Travis Scott dans le jeu vidéo Fortnite le 23 avril dernier restera un modèle du genre, notamment pour la qualité de son exécution. Astronomical, le show du rappeur américain, a ainsi réuni 12,3 millions de spectateurs pour sa première diffusion, et 27,7 millions au total.
Même si la rencontre de la musique et du jeu vidéo n’est pas inédite (remember David Bowie ou Michael Jackson sur Sega), elle se cantonnait jusqu’ici à des « coups ». Mais l’accélération numérique, combinée aux conséquences durables de la pandémie sur le spectacle vivant, est susceptible de la faire basculer dans une nouvelle dimension. Lors du CES 2021, Sony a annoncé la création de sa nouvelle filiale, Sony Immersive Music Studios. Celle-ci sera destinée au « développement d’expériences musicales immersives, grâce à la puissance de la créativité et de la technologie ». Sony Corp. avait d’ailleurs acquis en juillet une participation minoritaire de 250 millions de dollars dans Epic Games, éditeur de Fortnite.
La domination du jeu vidéo

Et comment pourrait-il en être autrement ? Car à la faveur de la pandémie, le jeu vidéo a assis sa domination globale sur l’industrie du divertissement. Selon DFC Intelligence, plus de 3 milliards de personnes sont des joueurs réguliers, soit 40% de la population mondiale. La France en comptabilise 36 millions. Selon des données IDC, le marché global a cru de 20% sur 2020, pesant désormais près de 180 milliards de dollars. A titre de comparaison, en 2018, l'industrie globale du film avait atteint un record de recettes, à environ 100 millions de dollars.
L’année a aussi vu le lancement des consoles de nouvelle génération Sony PS5 et Microsoft Xbox Series, ainsi que la sortie le 20 mars – par une coïncidence fortuite selon Nintendo – de Animal Crossing: New Horizons, devenu le jeu le plus vendu en France de 2020. Google et Amazon cherchent aussi à capitaliser sur cette manne, avec leurs services de cloud gaming Luna et Stadia. Mais l’un des grands enseignements de cette année si particulière demeurera la capacité unique du jeu vidéo à faire communauté, comme le démontre le succès de Twitch.
La K-Pop est-elle le futur de l’entertainment ?
Et si le futur de l’entertainment était à chercher au pays du Matin Calme ? L’engouement pour la K-Pop et la Hallyu n’est certes pas nouveau, mais son dynamisme ne se dément pas, comme l'a démontré l’entrée en bourse fracassante de Big Hit Entertainement, l’organisation derrière BTS –groupe de K-Pop le plus streamé de l'année, selon Spotify.
Mais le cas d’aespa, lancé par SM Entertainment, label pionnier du genre, mérite aussi l’attention. L’originalité de ce nouveau girls’ band ? Ses 4 membres – Karina, Winter, Ning Nang et Giselle – s’acoquinent de leurs doubles virtuels, et ces avatars ne sont pas là pour faire de la figuration.
Car à écouter le patron-fondateur de SM entertainment, c’est l’intelligence artificielle qui propulsera le divertissement de demain. Celle-ci permettrait aux célébrités de développer leurs avatars capables d’interagir « à la façon d’une personne vivante, d’un ami » avec leurs fans. Ces derniers pourront aussi se réincarner et évoluer dans ces nouvelles matrices, façon MMORPG, au moyen d’une application qui permettra à tout ce beau monde de communiquer. Et par la même occasion, de générer un maximum de données susceptibles de mieux anticiper les envies du public.
Ces clones constituent aussi une opportunité de démultiplier au quotidien la présence de ces artistes ultra-sollicités, voire même les remplacer lorsqu’ils sont malades, ou en burn-out. Des possibilités infinies, mais aussi de nouvelles questions soulevées par CNBC, entre risques pour la santé mentale, hyper sexualisation et détournements deep fakes.
Devant la radicalité d’une telle perspective, le lecteur de ces lignes se contentera peut-être d’une moue dubitative. Et la plupart d'entre nous espérons que la vaccination permettra à terme de retrouver la chaleur des salles de concert. Mais parce qu’elles les cristallisent jusqu’à la caricature, les filles d’aespa racontent finalement bien les enjeux d'une industrie qui doit réconcilier et intégrer, outre les effets directs de la pandémie, l’accélération technologique et la soif de connexion sociale que celle-ci a provoquées.
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