Le secteur de la beauté a été fortement secoué par la crise du Covid-19 : fermeture des boutiques de la distribution sélective, des instituts et des salons de coiffure, confinement de la population dont les rituels de la beauté sont fortement liés à l’interaction sociale, devenue rare.
Cependant, malgré cette situation, l’envie de la beauté, celle de prendre soin de soi dans le prolongement de la santé, de s’accorder du temps et de s’occuper de ce qui nous appartient inviolablement – notre corps – est restée intacte dans cette période où le risque de contamination, l’anxiété, voire l’éco-anxiété sont omniprésents.

Le désir de la beauté demeure ainsi une quête aspirationnelle pour une très grande majorité de la population. Cependant, les canons de la beauté et les attributs de son désir ont fortement évolué, ouvrant une voie à l’adaptation des propositions de valeur des marques. Par ailleurs, les défis sociaux et environnementaux auxquels le secteur est confronté, tels que l’exploitation des ressources naturelles, le changement climatique, les déchets plastiques, la santé publique et l’estime de soi, cristallisent les attentes et comportements souvent contradictoires des consommateurs et amènent un questionnement plus profond sur la façon de créer de la valeur dans l’industrie de la beauté.
Révélatrice des tendances préexistantes et amplificatrice de signaux faibles, la crise sanitaire a permis de renforcer l’attention portée aux business models porteurs de nouveaux récits, où la quête de la possession cède la place à l’expérience, où la singularité devient plus aspirationnelle que l’individualité et où la considération de l’impact dépasse la responsabilité directe de la marque.
La préférence de l’expertise et de l’expérience par-delà l’esthétisme
Si l’esthétisme reste l’une des dimensions recherchées par les consommateurs/trices des produits de beauté, la crise sanitaire a renforcé la conscience du lien étroit existant entre beauté et santé. La recherche par les consommateurs d’un produit composé d’ingrédients qui n’affichent aucune nocivité ( « clean beauty » ) et dont les principes actifs procurent avant tout un bénéfice fonctionnel, redonne la valeur aux marques expertes et aux codes médicaux.
Dans cet univers, la marque Gallinée démystifie le micro-biome en valorisant l’importance du bon fonctionnement des cellules bactériennes présentes sur notre peau, et commercialise une gamme de produits utilisant un actif breveté visant à les nourrir et protéger. Autre exemple, The Nue Co conçoit des produits cosmétiques et probiotiques visant à améliorer la concentration, la relaxation, voire l’immunité.
Dans le prolongement de la volonté d’adaptation des produits aux différents besoins de la peau, du contexte extérieur (niveau d’humidité ou de pollution) ou intérieur (niveau de stress), les acteurs de la beauté complètent leurs propositions de valeur avec des outils ou services de personnalisation. A titre d’exemple, l’application Neutrogena réalise des recommandations personnalisées après l’analyse de plus de 2000 attributs du visage qu’elle met en perspective avec les données météo en temps réel. Le formulateur personnel Romy, souvent comparé au « Nespresso de la cosmétique », est même capable de réaliser le soin du jour chez soi en libérant de leurs capsules les ingrédients actifs adaptés au besoin du jour.

L’expertise de ces marques les légitime dans l’élargissement de leurs propositions de valeur aux produits et services annexes. La Roche-Posay a par exemple développé un patch résistant à l’eau et pouvant être porté sur le dos pendant plusieurs jours. Adapté aux peaux sensibles des enfants et connecté à l’application dédiée, il facilite le contrôle de l’exposition du corps au soleil.
Plutôt que de proposer uniquement un produit de santé/beauté, ces marques complètent leur proposition en recherchant à maximiser le bénéfice fonctionnel ou sensoriel recherché avec une approche holistique. Dans un autre registre que la Roche-Posay, Cha Ling, une jeune marque du groupe LVMH, s’est construite autour des bienfaits du thé pu’er et de l’univers qu’il inspire. Au-delà des produits cosmétiques à base du thé, la marque propose un programme intitulé « Enjoy Mindful Beauty » ainsi que des produits complémentaires tels que les essentiels d’une cérémonie du thé, invitant les clients à l’expérience et l’art du vivre inspiré du « slow life ».
La nouvelle valeur de ces marques se trouve ainsi dans leur capacité à proposer le « juste nécessaire » du produit adapté, accompagné d’une expérience de plus en plus complète de la beauté, du soin, voire de la santé.
La mise à l’honneur de la singularité et de la connexion plutôt que de l’individualité
Au-delà des bénéfices fonctionnels, le désir de la beauté réside également dans ses dimensions sociales, voire statutaires. Elle joue un rôle non négligeable dans la construction identitaire, l’estime de soi et impacte par conséquent les interactions sociales.
De même que les façons d’interagir ont évolué suite à l’avènement de la société (inter)connectée, la dimension sociale de la beauté évolue pour mettre à l’honneur la singularité plutôt que l’individualité. Si cette dernière se construit « par rapport » à autrui, dans une volonté d’affirmation de la différence, la singularité se forge « dans la relation » avec autrui. Ainsi, plutôt qu’une ascendance et vision unique, la beauté est un artefact social construit de façon horizontale.

Ainsi, la beauté est en théorie un sujet de tous et il incombe aux marques d’en faire un objet d’inclusion. Dans cette veine, de nombreuses marques conçoivent des produits particulièrement adaptés à certaines typologies de publics aux besoins spécifiques. À titre d’exemple, Memecosmetics est une marque de dermo-cosmétique saine et sûre développée pour les personnes sous traitements. D’autres marques, comme The Ordinary, creusent le sillon d’accessibilité prix. En adoptant une approche frugale (conception de formules, packaging, marketing, …), ce jeune acteur aux codes minimalistes est en capacité de rendre le luxe accessible.
Plutôt qu’un objet de standardisation, la beauté peut devenir un formidable levier de créativité où l’originalité et l’unicité prévalent sur la rareté et l’exclusion.
La beauté prend ainsi de multiples formes. Elle peut par ailleurs être augmentée en 3D, comme le mentionne l’article « T’ar ta gueule à la beauté » paru dans la revue de l’ADN (Z) Portrait d’une génération. Même « l’étrange » devient une forme de beauté pour Inès Alpha qui parle de la beauté cyborg et de maquillage numérique dans son entretien pour Et Demain notre ADN.
Dans cette optique, plutôt qu’un objet de standardisation, la beauté peut devenir un formidable levier de créativité où l’originalité et l’unicité prévalent sur la rareté et l’exclusion.
Évidemment, cette conception horizontale de la beauté n’est pas sans risque : le #prettierchallenge en est un exemple flagrant. Largement relayé aux Etats-Unis via Tik tok, ce défi narcissique a amené de jeunes filles à se soumettre aux jugements de leurs pairs « pour devenir plus jolies ».
Dans cette évolution, le rôle des marques est essentiel. Elles sont tiraillées entre la promotion de la singularité, de la créativité et de l’originalité, et en même temps le risque de dérive des jugements malveillants. Ainsi, leur nouvelle valeur se trouve dans leur capacité à donner accès à leurs clients aux communautés qui promeuvent le respect de la différence, l’inclusion, et dans lesquelles l’échange et la connexion véritables deviennent attributs de construction plutôt que de destruction identitaire.
La quête du récit d’innovation sociale et de la régénération locale par un secteur aux savoir-faire démystifiés
La construction identitaire « dans la relation » avec autrui présuppose également une certaine connexion de valeurs. Le récit authentique et sincère fondé sur la contribution sociétale devient ainsi central dans un monde où l’hyper-conscience écologique n’est plus qu’une affaire de niche.

Enfreindre les lois de la nature, ne pas respecter les contraintes du vivant, dénaturer des savoir-faire ancestraux ou fabriquer une quantité de déchets supérieure à la quantité de produits devient heureusement quasi impossible, forçant les marques à adapter leurs modèles économiques. Ainsi, la nouvelle stratégie du Groupe L’Oréal présentée cette année – L’Oréal pour le Futur – incite entre autre les marques du Groupe à s’ancrer dans leurs écosystèmes et d’ « opérer dans les limites planétaires ». Dans la même veine, certaines marques comme Thierry Mugler dans le parfum ou la Bouche rouge dans le maquillage, explorent la possibilité de s’affranchir de l’emballage à usage unique en favorisant le réemploi des contenants.
Ces aspects environnementaux sont cruciaux pour ce secteur qui est fortement consommateur des matières premières, souvent rares et précieuses, et historiquement attaché à l’esthétisme des emballages. Sa spécificité réside cependant également dans le recours aux « belles » matières, aux « beaux » gestes et métiers, souvent artisanaux, à très haute valeur ajoutée et locaux.
Certaines marques sont conscientes de leur capacité d’impact sur le développement économique vertueux d’un territoire, et développent des modèles économiques qui résolvent un défi sociétal local, redonnant de la puissance singulière à leur récit. Ainsi, Kadalys s’est donné pour mission de « recycler et valoriser les agros-déchets et coproduits générés par l’industrie agro-alimentaire et notamment la filière Banane de Guadeloupe et Martinique » en travaillant main dans la main avec les planteurs de banane, tous actionnaires du projet qui revalorise les territoires oubliés ou négligés.
Valoriser l’expertise de la marque tout en créant un terreau fertile à l’expression de la singularité de ses clients, favoriser la connexion tout en garantissant l’inclusion, s’inscrire dans les limites planétaires tout en se mettant au service du développement, voire de la régénération locale : tels sont les enjeux de création de la nouvelle valeur pour que l’industrie de la beauté révèle pleinement la beauté de son industrie.
À propos de 28° Design
Chez 28° Design, nous sommes animés par le désir de contribuer à la création de la nouvelle valeur. C’est-à-dire, à la réorganisation économique vertueuse de notre société. A la fois humaine, écologique et économique, elle ne peut advenir qu’à réinventer radicalement le business model de l’entreprise. Au sein de 28° Design, nous aidons les marques dans leur transition vers des modèles économiques construits autour de la résilience et de la durabilité. Grâce au concept de "nouvelle valeur", nous entendons dynamiter les vieux schémas pour faire avancer l'entreprise tout en faisant progresser l'humanité.
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