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« La crise sanitaire nous rappelle la vulnérabilité de nos sociétés »

Un dossier parrainé par Engie
© Sugarman Joe

Comment le groupe Engie a-t-il traversé la crise ? Comment s’est déroulée la reprise d’activité ? Votre feuille de route a-t-elle évolué à la faveur de la période ?

Jean-Pierre Clamadieu : Nos priorités ont été de protéger nos collaborateurs tout en garantissant la continuité des activités essentielles pour nos clients comme la production et l’approvisionnement en énergie, la gestion des services énergétiques pour les hôpitaux et les systèmes informatiques ou encore le maintien de la chaîne du froid pour le secteur alimentaire. Nous avons également pris des mesures de solidarité pour aider nos clients les plus fragiles et les TPE-PME à surmonter cette crise. Aujourd’hui nous avons repris une activité quasi normale et sommes parfaitement opérationnels pour faire face durablement à cette situation sanitaire et économique.

Notre ambition de devenir le leader de la transition énergétique et climatique n’a pas changé. Je dirais même qu’elle a été confortée par cette crise. Pour renforcer notre capacité d’action et pour avoir encore plus d’impact, nous avons engagé un travail de simplification du groupe depuis le début d’année, avec un recentrage sur les infrastructures et les énergies renouvelables. Ce travail ne s’est jamais arrêté malgré le confinement et se poursuit pour nous permettre d’atteindre nos objectifs.

Nous avons engagé un travail de simplification du groupe depuis le début d’année, avec un recentrage sur les infrastructures et les énergies renouvelables. Ce travail ne s’est jamais arrêté malgré le confinement.

© American Publi Power Association

Vous avez appelé très tôt à faire de la sortie de crise une opportunité pour accélérer la transition écologique ; que pensez-vous du plan du relance France Relance annoncé début septembre ? Comment votre groupe compte-t-il s’y inscrire ?

La crise sanitaire que nous traversons nous rappelle la vulnérabilité de nos sociétés. Nous allons être au moins aussi vulnérables face à la crise climatique qui arrive si nous ne réduisons pas rapidement nos émissions de CO₂. Chacun a pris conscience de l’importance de renforcer notre résilience, notre capacité à anticiper et nos moyens d’action. J’ai voulu dire très tôt que la relance devait être l’occasion de choisir le type de croissance que nous voulons. Les investissements que les entreprises et les foyers pourront mener grâce aux plans de relance vont durablement structurer l’économie et nos modes de vie. La relance verte s’impose à mes yeux comme une évidence.

Les plans de relance annoncés par la France et l’Union européenne ont fixé un cap ambitieux et s’inscrivent dans cette logique. Je me félicite notamment du soutien au développement de l’hydrogène vert et à la rénovation thermique des bâtiments d’habitation, des entreprises et des collectivités. Ce sont deux domaines clés pour atteindre la neutralité carbone. ENGIE est idéalement placé pour saisir les opportunités ainsi créées et accompagner la relance verte. Toutefois, nous appelons les gouvernements à veiller à la rapidité de mise en œuvre de leurs ambitions. Les fonds doivent permettre de remplir les carnets de commande dans les semaines qui viennent, et donner les premiers « coups de pioche » et de créer ou de consolider rapidement des emplois.

Vous définissez Engie comme un leader de la transition énergétique : avec quels leviers stratégiques se traduit cette ambition ? Et quel rôle joue le gaz dans cette transition ? Et les renouvelables ?

Les scénarios de transition énergétique comprennent, d’une part, une réduction massive des consommations et, d’autre part, la couverture des besoins énergétiques restants par un mix énergétique décarboné. Le positionnement d’Engie découle de ces analyses. Nous pouvons aider entreprises et collectivités à définir leur feuille de route vers la neutralité carbone, nous maîtrisons les infrastructures des vecteurs décarbonés que sont les réseaux de chaleur, de froid et de gaz verts et nous développons des capacités de production électriques renouvelables (éolien, solaire, hydro), complétées par des solutions de stockage et de génération au gaz pour faire face à l’intermittence. Nous croyons en la complémentarité des énergies comme facteur clé de réussite dans la transition énergétique.

L’enjeu fondamental d’un système énergétique est d’équilibrer en temps réel le niveau de production avec le niveau de consommation.

En effet, l’enjeu fondamental d’un système énergétique est d’équilibrer en temps réel le niveau de production avec le niveau de consommation. Or, les renouvelables ne peuvent pas offrir une garantie de disponibilité en raison de leur caractère intermittent, tandis que les contraintes d’exploitation d‘une centrale nucléaire la contraignent à tourner en continu. Aucun des deux n’est donc capable d’assurer les pointes de consommation. Pour vous donner un ordre de grandeur, au moment le plus froid de l’hiver, quand les Français sont chez eux et mettent le chauffage, le besoin en énergie est égal à 3 fois ce que peut fournir le parc nucléaire français, pourtant déjà l’un des plus développés au monde. Chacun doit prendre conscience qu’il s’agit de la quadrature du cercle du monde décarboné. Si l’on n’y prend pas garde, la gestion de cette pointe hivernale sera réglée par l’importation d’électricité produite à l’étranger à un coût économique et environnemental très élevé.

© Federico Beccari

Quels sont les leviers à notre disposition pour résoudre ce problème ? Le premier levier consiste à écrêter cette pointe de consommation, via la rénovation thermique et, le recours au numérique pour optimiser les consommations … Le second levier consiste à s’appuyer sur une grande variété de vecteurs énergétiques car il n’y a pas que l’électricité ! Il y a les réseaux de froid et de chaleur qui améliorent considérablement les performances de tout type de bâtiment, ainsi que le recours aux gaz : aujourd’hui gaz naturel et biogaz, et demain l’hydrogène vert qui permettent le stockage de quantités d’énergie suffisantes. Les gaz présentent ainsi un ensemble de qualités indispensables à un système énergétique efficient, résilient et compétitif.

Après l’Allemagne, la France a annoncé ses ambitions sur l’hydrogène décarboné, avec un plan à 7,2 milliards d’euros d’ici à 2030. Quelle est l’approche d’Engie en la matière ? Où comptez-vous vous positionner dans cette chaîne de valeur ?

L’hydrogène vert est le chaînon manquant de la transition énergétique. Il peut être produit à partir d’électricité renouvelable et sa matière première est de l’eau. Et comme l’hydrogène est un gaz, il peut être stocké et réutilisé quand la production électrique ne peut pas suivre la courbe de la demande. Sa densité énergétique permettra aussi de décarboner toutes les mobilités, même les plus lourdes.

ENGIE a misé très tôt sur l’hydrogène renouvelable en créant dès 2018 une Business Unit qui lui est entièrement dédiée. Plus de 100 experts de l’hydrogène vert œuvrent aujourd’hui chez ENGIE à la décarbonation des processus industriels (raffineries, méthanol, ammoniac par exemple) et de la mobilité lourde. Avec déjà 4 projets en construction et plus de 10 en développement à travers le monde, nous nous positionnons d’emblée comme l’un des futurs leaders de ce marché que nous jugeons indispensable à la transition énergétique.

Je suis particulièrement fier du projet que nous venons de lancer avec ArianeGroup. Nous unissons nos expertises et nos technologies en matière d’hydrogène et de liquéfaction, acquises dans des activités très différentes, pour développer les solutions de décarbonation des mobilités lourdes. Il s’agit de l’industrie du futur dont nous avons besoin en France et en Europe, avec à la clé des emplois techniques qualifiés et rémunérateurs, des technologies et des productions exportables et un bilan environnemental exemplaire. Je me réjouis que l’Union européenne, l’Allemagne et la France aient pris conscience de cet extraordinaire potentiel.

Hydrogène, gaz vert… Des sujets porteurs, mais qui à l’évidence, demandent de nombreux efforts de recherche et développement. Quel est le budget d’Engie en la matière, quels sont vos axes de travail prioritaires ?

Vous avez raison, les efforts en Recherche et Innovation sont essentiels. Le Groupe y consacre près de 200 millions d’euros chaque année et nous venons d’inaugurer un nouveau centre de recherche à Stains, en région parisienne. Mais nos seuls efforts ne sont pas suffisants pour relever ce défi majeur. Nous souhaitons avoir un impact positif sur la société, c’est notre raison d’être, et cela s’exprime tant dans nos actions technologiques pour décarboner l’économie que dans nos contributions sociétales, pour vitaliser les écosystèmes et encourager des partenaires qui œuvrent comme nous et avec nous pour inventer le monde énergétique de demain. Avec 8 centres de recherche, 23 laboratoires, 900 chercheurs et le fonds d’investissements ENGIE New Ventures, le Groupe a construit un écosystème unique tourné vers l’innovation. Ces dernières années, nous avons pu de cette façon imaginer et déployer des solutions autour de la mobilité durable, de l’énergie décentralisée, des bâtiments connectés, de la gestion des territoires, de l’hydrogène ou des solutions de stockage de l’énergie par exemple.

© Pixabay

Voyez-vous le comportement des Français changer ? Comment faire en sorte d’entrainer chacun vers la transition énergétique ?

Aujourd’hui, j’observe une demande croissante des citoyens, élus et industriels pour mettre en œuvre d’ambitieux programmes de décarbonation ; il y a une véritable pression pour que les choses changent. Ma conviction personnelle et de chef d’entreprise est que le choix de la transition est un choix fondamentalement rationnel même si tout le monde ne s’en est pas encore rendu compte. Nous avons tous des amis ou des membres de nos familles qui sont des précurseurs de la transition, parfois au prix d’efforts personnels importants. En tant qu’entreprise, il nous appartient de créer les produits et services qui accompagnent cette transition, qui la facilitent et rendent très concrets ses bénéfices en terme de confort de vie, de gain financier et d’économies des ressources naturelles.

Quels sont vos propres objectifs de neutralité carbone et comment comptez-vous y parvenir ?

L’Union Européenne vise une diminution de -55% de ses émissions de CO₂ en 2030 par rapport à 1990 ; c’est un objectif à la fois indispensable et ambitieux. ENGIE compte contribuer massivement à cet objectif, qui est au cœur de sa raison d’être « agir pour accélérer la transition vers une économie neutre en carbone », sur les deux leviers. D’une part, décarboner l’appareil de production d’énergie en finalisant la sortie du charbon et en accélérant dans les renouvelables, solaire, éolien terrestre et en mer, biogaz et hydrogène vert. D’autre part, aider les clients à consommer moins et mieux en proposant des services d’efficacité énergétique et des infrastructures urbaines performantes. Avec des ambitions claires à horizon 2030, celles de réduire de près de -50% nos émissions de CO₂ par rapport à 2019, et d’atteindre près de 60% d’énergies renouvelables dans nos capacités installées électriques.

L’Europe a un rôle à jouer, en affirmant son leadership climatique et en favorisant la résilience et la compétitivité de son industrie énergétique.

Que garderez-vous de cette crise inédite, en tant que dirigeant ?

Cette crise a montré l’extraordinaire capacité de mobilisation des entreprises et de la société civile. Partout dans le monde, des habitudes ont changé, des barrières psychologiques, juridiques, pratiques ont été levées. Cela me rend optimiste sur notre capacité à transformer véritablement nos manières de produire et de consommer pour relever le défi du changement climatique. Pour être efficaces, ces efforts doivent s’inscrire dans un cadre collectif, coordonné. Et c’est là que l’Europe a un rôle à jouer, en affirmant son leadership climatique et en favorisant la résilience et la compétitivité de son industrie énergétique.

Jean-Pierre Clamadieu, président d'Engie

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