Et demain, des médias qui créent du lien ?
Souvent synonyme d’isolement, le confinement a été l’occasion pour les journalistes d’inventer de nouvelles écritures et parfois d’aller plus loin que leur rôle d’informer les citoyens de façon à créer de nouveaux liens. La preuve avec ces deux formats de contenus innovants.

Comment passer de 60 membres à 2,4 millions en quelques petites semaines ? En offrant à tous la possibilité de partager le point de vue… de sa fenêtre ! Sur une idée de Barbara Duriau, une jeune graphiste localisée à Amsterdam soutenue par quelques bénévoles, « View from my window » a vite trouvé son public. « Je crois qu'on peut dire que ce groupe est un vrai antidépresseur ! Un monsieur de 73 ans m'a écrit pour me dire qu'à son âge il ne sait plus voyager mais qu'il part en excursion tous les jours en regardant les photos sur ma page Facebook ». Grace au succès de sa campagne sur Kickstarter, la jeune femme va pouvoir partager toutes ces œuvres à travers une exposition itinérante. Et peut-être découvrirons-nous, la vue depuis votre fenêtre ?
Curieux, les lecteurs le sont ! Et ça, les journalistes du New York Times l’ont bien saisi ! Avec « Notes From Our Homes to Yours », les amoureux de l’édition ont pu piocher dans les recommandations de leurs journalistes préférés. Films d’horreur, critiques de livres, recettes, récentes acquisitions commentées… bref, il y en a pour tous les goûts ! Sans surprise, les lecteurs en redemandent ! « J'ai dévoré cela et je souhaite que ce soit régulier », « Vous m'avez fait rire tout haut par un matin gris et pluvieux ! Je vous remercie ! », « Parfois, c'est agréable d'avoir un petit aperçu de la vie de quelqu'un d'autre ou des coulisses de son travail, surtout quand c'est tellement différent du mien. Merci pour cela… », lit-on dans les commentaires souvent enjoués. De quoi rebâtir la confiance entre lecteurs et journalistes grâce à des bouts d’intimités partagés ? Et si c’était simplement cela ?

Et demain, des médias qui s’adaptent aux nouveaux usages ?
Toucher ses lecteurs, c’est réfléchir parfois aux nouveaux usages en matière de consommation de l’information. Et le Covid-19 a été l’occasion pour des médias de s’essayer à de nouveaux formats… pour le plus grand plaisir des lecteurs, qui eux, attendent rarement pour adopter de nouvelles habitudes ! Et demain, des médias qui vont plus vite que leurs audiences ?
« Mon cher @canardenchaine, pourrais-tu en ces circonstances exceptionnelles que tu connais, permettre à tes abonnés hexagonaux d’accéder à la version numérique, réservée jusqu’ici aux abonnés à l’étranger ? Tes plumes, au propre comme au figuré, n’en seront que plus reluisantes », pouvait-on lire sur Twitter de la part de lecteurs impatients de découvrir une version numérique de leur journal préféré ! Et il n’aura pas fallu attendre très longtemps puisque l’hebdomadaire satirique de 1915 s’est lancé dans le grand bain du Web le 25 mars. La situation de Presstalis et le confinement auront mené à une petite révolution dans la presse avec des « enfin » et des « ouf » de soulagement du côté des lecteurs. Si Le Canard Enchaîné y va, tous peuvent y aller, non ? !
Les jeunes sont sur TikTok ? Allons sur TikTok ! France TV Média lab, vous connaissez ? Il s’agit de la vitrine de l’innovation de France Télévision. Pendant le confinement, l’équipe s’est lancée sur la plateforme chinoise qui revendique plus de 800 millions d’utilisateurs actifs mensuels. La particularité du média social ? Sa jeune audience ! 41% des utilisateurs sont âgés de 16 à 24 ans. C’est donc là qu’il fallait être pour sensibiliser les plus jeunes à l’intérêt du confinement ! Ces courtes vidéos marquent-elles le point de départ d’une nouvelle histoire éditoriale entre le service public et TikTok ?

Et demain, des médias plus solidaires ?
Trouver des solutions pour demain, changer des méthodes de travail pour être plus efficaces et améliorer son impact… Des médias ont osé changer leur ligne éditoriale et leur méthodologie pour offrir un peu plus que de l’information. Des initiatives qui plaisent aux journalistes comme aux lecteurs !
La relance économique ? Et si on la confiait aux lecteurs ? C’est le pari de Médiacités, un site d’investigation indépendant lancé en 2016 dans les villes de Lyon, Nantes et Toulouse. Faites un petit tour sur le site, vous verrez la rubrique « Dans ma ville » qui annonce la couleur : « Transformons nos villes après le coronavirus : en quelques semaines, la pandémie de Covid‐19 a bouleversé nos vies, nos comportements et nos priorités. Mais transformera‐t‐elle durablement nos villes ? Avec vous, nous allons mettre en lumière des réponses locales aux multiples problèmes révélés ou exacerbés par l’épidémie. Pour que cette épreuve n’ait pas servi à rien ». Consommation et activités locales, logement, nature en ville, solidarités, transports… tous les lecteurs peuvent contribuer à identifier les initiatives nées pendant le confinement et qu’il faudrait développer dans ce qui ressemble à un petit programme municipal. Et demain, un journalisme au service des citoyens et du développement local ?
Une philosophie qui correspond également à l’initiative du quotidien Les Dernières Nouvelles d’Alsace qui a lancé « Coronavirus : entraide en Alsace », un groupe Facebook ouvert à tous qui a été pensé pour favoriser les échanges de services et de solutions pour faciliter la vie quotidienne pendant le confinement. Dans ce groupe rapidement devenu une petite communauté active et soudée se faufilent les articles du quotidien alsacien entre les demandes de logement, de garde et les offres de masques cousus mains. Depuis, la rédaction s’interroge, ou plutôt interroge ses lecteurs sur le fameux groupe : « Aujourd’hui, alors que la deuxième étape du déconfinement débute, comment pourrions-nous nous entraider à nouveau ? Rencontrez-vous de nouvelles problématiques qui peuvent être résolues en entrant en contact avec d’autres personnes de la région ? Autrement dit, nous vous posons la question : si nous décidions de faire perdurer ce groupe d’entraide, quels devraient être ses objectifs ? » Nul doute que ces nouveaux rendez-vous créés pendant le confinement laisseront des traces dans le cœur des lecteurs et peut-être bien dans les conversations avec l’audience. Et demain, des médias qui co-construisent leur ligne éditoriale avec les lecteurs ?

Être plus solidaire, c’est aussi inventer de nouvelles collaborations ! C’est ce qui s’est passé aux États-Unis, en Oregon, où des rédactions ont décidé de travailler ensemble pour couvrir la pandémie. « Maintenant, alors que l'État est confronté à la propagation de la maladie du coronavirus, les salles de rédaction de l'Oregon mettent de nouveau de côté notre concurrence habituelle et collaborent dans l'intérêt du journalisme de service public. De nombreux éditeurs de l'Oregon ont accepté de partager des histoires de coronavirus afin de diffuser les meilleures informations au plus grand nombre d’Oregoniens », écrivent les journalistes d’Oregon Live. Au total, ce sont douze rédactions qui ont partagé la couverture du Covid-19. Envie de les rejoindre ? C’est possible grâce à First Draft, une plate-forme qui permet aux rédactions de collaborer dans le monde entier…
Et demain, des médias plus inclusifs ?
Toucher de nouveaux publics, diversifier les rédactions, donner la parole à ceux qui ne l’ont jamais… des initiatives qui, en pleine crise du secteur des médias, permettent d’espérer tant elles évoquent la liberté et la pluralité nécessaires à nos démocraties. Et demain, des médias leviers d’une société inclusive et plus démocratique ?
Si les paywalls assurent aux médias un modèle économique solide, ils peuvent parfois empêcher des rédactions de toucher un maximum de publics. Mais face au contexte du Covid-19, la volonté d’informer était plus forte chez Mediapart. Son indépendance financière a peut-être permis au média de tester de nouveaux formats pendant le confinement. Comme l’émission vidéo « À l’air libre », par exemple ? Chaque soir, depuis le 18 mars, le média informe et offre des témoignages au plus grand nombre, puisque l’émission est en accès libre sur YouTube, Facebook et le site de Mediapart. « Brutal révélateur politique dont les leçons s’élaborent en même temps que nous y faisons face, l’épidémie du Covid-19 est un moment de vérité pour le journalisme, sa fonction démocratique et sa responsabilité sociale. », explique Edwy Plenel, le président.

Comment rendre compte de toutes les situations et problématiques liées au confinement ? En donnant la parole à tous ceux qui ont été en première ligne, comme l’ont fait Clémentine Spiler et Romain Jenticou ? Convaincus que tout le monde n’est pas logé à la même enseigne, les journalistes ont décidé de tendre leur micro à ceux qui ont été mis en difficultés ou en danger afin de les rendre visibles. « Personnel soignant, ouvriers, caissières, mais aussi personnes à la rue, isolées, malades, handicapées ou sans papiers... Nous recherchons autour de nous des gens qui sont dans des situations compliquées, ils nous les racontent par téléphone et nous essayons ensuite de publier un de ces témoignages tous les deux jours. On peut retrouver ces précieux témoignages en podcasts sur Instagram.
Vers des recrutements plus inclusifs dans les rédactions ? C’est l’intuition de Jessica Lessin, la fondatrice de The Information, un média américain spécialisé dans les technologies (très influente dans la Silicon Valley écrit le New York Times). Consciente que les stages en journalisme vont être peu accessibles pour les étudiants les plus modestes dans un contexte de fermeture et de restructuration massive des médias, la fondatrice lance une école de journalisme d’été gratuite… sur Zoom ! Au programme ? Les cours des plus belles plumes du moment avec en pagaille Carrie Budoff Brown, rédactrice en chef de Politico, le chroniqueur des médias du New York Times, Ben Smith… « Il s'agit d'aider les jeunes à naviguer dans ce qui a toujours été une industrie difficile à percer et qui fait face à de nouveaux défis sans précédent », explique Jessica Lessin. Et demain, des médias avec des profils diversifiés pour répondre à la pluralité des défis qui nous attendent ?
• Ce papier du média éphémère Et Demain Notre ADN a été écrit en toute indépendance par un journaliste de L’ADN. Le partenaire n’intervient pas sur le contenu éditorial de la rubrique qu’il parraine.